Témoins Posthumes

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G. BOURNIQUEL


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Identification des Esprits et preuves expérimentales de la survie


Table des matières


Première partie

Incroyance : Les Esprits n'existent pas

Chapitre premier. De l'hypnotisme au spiritisme

  • II. - Les premiers pas

  • III. - Crédulité

  • IV. - Clairvoyance et poésie

  • V. - Essais infructueux


Deuxième partie

Doute : Les Esprits existeraient-ils ?

Chapitre VI. - Faits troublants

  • VII. - Le premier témoin

  • VIII. - Nouvelles identifications ; nouveaux témoignages


Troisième partie

Certitude : Les Esprits existent

Chapitre ix. - Education des médiums - Faits de Hantise

  • X. - A tâtons

  • XI. - Un nouveau témoin

  • XII. - Les trois réincarnations de Plotin

  • XIII. - Les témoins déposent

  • XIV. - Suite des témoignages

  • XV. - Ostradié et sa femme

  • XVI. - Apparition du double d'un vivant ; le défilé continue

  • XVII. - Ce que disent les autres

  • XVIII. - Dernières dépositions

  • XIX. - Une crise de conscience


Quatrième partie

Théories antispirites

Chapitre XX. - L'hostilité scientifique

  • XXI. - Les morts vivent-ils ?

  • XXII. - La télépathie et les autres hypothèses

  • XXIII. - Hypothèse du subconscient

  • XXIV. - Discussion du subconscient

Conclusion

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Quiconque, au lieu de se perdre en des discussions oiseuses, entreprend des recherches systématiques et profondes sur les phénomènes métapsychiques, et persévère pendant de longues années en accumulant une immense quantité de faits et en leur appliquant les méthodes d'investigation scientifiques, doit inévitablement finir par se convaincre que les phénomènes métapsychiques constituent un faisceau admirable de preuves convergeant toutes vers un centre qui est la démonstration scientifique rigoureuse de l'existence de l'âme et la preuve de sa survivance.

Ernesto BOZZANO

(Psychica)


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Première partie

Incroyance

Les esprits n'existent pas


Chapitre premier

De l'hypnose au spiritisme

Au temps où j'étais étudiant, tout le monde parlait de l'hypnotisme qui venait de naître et qui devient vite la science à la mode. Divisés, dès le début, sur l'origine et la nature des nouveaux phénomènes, les noms de Charcot, Liégeois, Bernheim, Liébault, Gilles de la Tourrette, Grasset, ne tardèrent pas à s'entrechoquer dans le fracas des discussions académiques. Mais le public, que cette logomachie officielle n'intéressait pas, accorda bientôt ses préférences aux expériences curieuses du colonel de Rochas dont les grands journaux et les revues commençaient à s'emparer. Personne ne se doutait de l'immensité du champ d'investigation qui se trouvait brusquement découvert ; ce fut tout à la fois l'âge de pierre et l'âge d'or de l'hypnotisme.

Les vulgarisateurs surgirent de partout, et parmi eux, au premier rang, Pickmann.

C'était un élégant cavalier à barbe blonde très soignée, toujours en habit, gilet et culotte de satin noir, casquette écossaise et anneaux d'or passés dans les oreilles. Il parcourait dans cet appareil les villes de province où son passage, on le conçoit, était sensationnel. Sa puissance magnétique était inouïe ; il endormait avec une facilité, une rapidité que personne n'a jamais égalée. Il faisait passer ses sujets par toutes les phases de l'hypnose, leur donnait des suggestions absurdes ponctuellement exécutées, leur faisait manger des pommes de terre crues qui étaient trouvées délicieuses, leur donnait la sensation du chaud et du froid, de la terreur et de la joie, les faisait déshabiller, danser, chanter, se disputer, mêlant habilement tragique au comique ; bref, il transformait leur cerveau en un véritable laboratoire d'hallucinations.

Son triomphe était la fascination ou prise du regard. Quelques jeunes gens étant alignés côte à côte, il défilait lentement devant eux comme pour les passer en revue ; brusquement, il s'arrêtait, s'approchait, en fixait un dans les yeux l'espace d'une ou deux secondes, puis il se reculait lentement, suivi par son sujet qui ne pouvait plus se détourner. On eût dit les deux regards rivés l'un à l'autre : un souffle sur le visage et le charme était rompu.

Je me trouvais à Narbonne, en 1887, lorsqu'il vient y donner une représentation. Désireux de me rendre compte si, dans tout cela, il n'y avait pas de supercherie, j'entrai des premiers dans la salle, et avec d'autres jeunes gens, je monati sur la scène lorsque l'hypnotiseur demanda des personnes de bonne volonté pour se prêter à ses démonstrations.

La première partie se déroula devant un public vivement intéressé, puis l'on passa au morceau principal, c'est-à-dire à la scène de l'assassinat ; elle consistait en ceci :

On couvrait d'un épais bandeau les yeux de Pickmann, puis on le conduisait dans la partie la plus éloignée du théâtre, sous les combles. Pendant son absence, on disposait sur la scène une table avec deux douzaines de couteaux empruntés au restaurant voisin ; un des spectateurs prenait, au hasard, un des couteaux, le marquait d'une croix au crayon pour pouvoir le reconnaître ensuite parmi les autres. Avec cette arme, il allait dans le parterre et faisait le simulacre de tuer un autre spectateur ; il lui prenait sa montre et son portefeuille qu'il cachait dans des endroits différents ; il revenait chercher le prétendu cadavre l'emportait pour aller le jeter dans un puits, figuré par une loge des premières galeries ; ensuite, il rapportait le couteau sur la table, le mélangeait avec les autres, et enfin il regagnait sa place.

Tous ces préparatifs terminés, on alla chercher Pickmann, on le ramenai sur le théâtre, les yeux toujours bandés. Là, prenant la main d'un des jeunes amateurs qui, comme tout le monde, avait été le témoin de l'assassinat et du vol, il la porta à son front et l'y maintint, tout en priant ce garçon concentrer sa pensée sur ce qu'il avait vu. Cela devait suffire au magnétiseur pour retrouver l'assassin par simple transmission de la pensée.

L'intérêt du public était surexcité ; chacun se demandait si l'expérience allait réussir. Encore très peu familiarisé avec ce genre de phénomènes, on ignorait tout de la personnalité psychique det de ses ressources multiples. Que de chemin parcouru depuis !

Soit que le jeune amateur eût mal compris le travail mental qu'il devait s'imposer pour guider les recherches, soit qu'il manquât de ferme volonté, Pickmann n'arrivait à rien de bon ; il allait dans une direction, puis dans une autre, ne trouvant pas l'appui nécessaire. Il prit alors un autre garçon avec lequel il ne fit pas mieux, et ce fut de même avec un troisième. L'expérimentateur s'énervait, le public commençait à murmurer, la soirée allait-elle se terminer au milieu d'un de ces chahuts formidables qui font époque dans le Midi bruyant ?

Pickmann vint à moi et me dit : « Vous avez bien vu ce qui s'est passé ? Pensez-y fortement. Donnez-moi, par la pensée l'ordre de retrouver l'assassin. Il faut le vouloir, fortement. Comprenez-vous ? » J'avais parfaitement compris, et je sentais vaguement que ce qu'il n'avait pu obtenir des autres, il allait le réussir avec moi.

Effectivement, je ne lui eus pas plutôt mis le pouce sur le front que la transmission s'établit ; instantanément, il partit comme une flèche en droite ligne, me remorquant à travers les banquettes qu'il me faisait enjamber à sa suite, sans souci des spectateurs bousculés. Nous arrivâmes ainsi devant la personne qui avait tenu le rôle de l'assassin ; après une courte hésitation, Pickmann lui posa la main sur l'épaule en disant : le voilà. Après cela, nous repartîmes tous deux, lui suivant ma pensée, la précédant presque, comme il précédait mes pas, et nous voilà à la recherche de la victime. Ce fut tout aussi vite fait, et de la même façon : Pickmann trouva d'abord la place où avait eu lieu le crime ; puis, sortant du parterre, nous montâmes l'escalier des premières galeries et il n'eut aucune peine à y retrouver le cadavre, dans la loge où il avait été déposé. Après, ce fut le tour des objets volés et qui avaient été confiés à deux personnes différentes. Enfin nous revînmes sur le théâtre, où il retrouva au milieu des autres l'arme meurtrière.

Pickmann dont les yeux étaient restés constamment bandés, ne pouvait pas voir la marque au crayon faite sur le couteau, mais moi je la voyais et il la voyait avec mes yeux, comme il avait vu, avec ma pensée, l'assassin, la victime et les objets volés.

Je rentrai dans ma chambre, le cerveau plein de ces faits. Je n'avais plus le moindre doute ; j'avais pu me convaincre que dans la production de ces phénomènes si nouveaux, si mystérieux, si merveilleux, tout était dû, non pas à du truquage, mais simplement à des facultés supranormales encore mal définies à cette époque. De ce moment, j'eus l'intuition de la valeur de l'expérimentation, sa supériorité sur les théories et les hypothèses et je m'en fis plus tard une règle en toute occasion : « Le moindre petit plan, disait Napoléon, m'en dit plus qu'un long rapport. »

Quelque temps après, Donato annonça une représentation sur la même scène ; je me gardai bien de manquer cette nouvelle occasion de m'instruire et lorsqu'il demanda des amateurs, je m'empressai de remonter sur le plateau.

Donato a eu des imitateurs qui lui ont pris jusqu'à son nom mais qui n'ont pas pu lui emprunter sa puissance remarquable. Il n'avait ni la grâce ni la finesse de Pickmann, ni son incomparable maîtrise, non son pouvoir fascinateur, mais il avait l'habitude du public et ses démonstrations s'étaient toujours très bien réussies. Lui aussi montrait les différents états de l'hypnose qu'il obtenait facilement avec ses sujets bénévoles.

Lorsque vint mon tour, après m'avoir rassuré par quelques paroles, il annonça qu'i allait faire une expérience de catalepsie partielle à l'état de veille ; il me fit allonger un bras, le découvrit, pratiqua quelques passes qui eurent pour résultat de le contracturer et de le rendre insensible ; puis tirant son épingle de cravate, il l'enfonça dans la partie musclée de l'avant-bras qui fut traversé de part en part, sans que je sentisse autre chose qu'une piqûre insignifiante. Je circulai dans les rangs du public pour montrer la réalité du fait, puis Donato retira l'épingle sans provoquer la moindre hémorragie. Je ne pouvais douter que le bras avait été réellement traversé, car pendant huit jours, je constatai à cet endroit la trace d'une forte ecchymose.

Le temps a marché. L'on trouverait aujourd'hui ces expériences puériles, mais à cette époque-là, elles firent sensation.

A partir de ce moment, je recherchai toutes les occasions pour pratiquer moi-même ; elles ne me manquèrent pas, lorsque peu après, j'allai suivre les cours de la Faculté, à Toulouse,

Cité des troubadours et des tailleurs de pierre,

Magnifiquement chantée par Armand Silvestre. Avec quelques camarades et quelques personnes de bonne volonté, j'essayai des expériences de sommeil provoqué et, ma foi, j'y réussissais fort bien. Je donnais à mes sujets occasionnels des suggestions qui n'étaient peut-être pas toujours de très bon goût, mais qui nous amusaient énormément. C'est tout ce que nous demandions à la science nouvelle.

J'ai pu ainsi, dans l'espace de vingt ans, agrandir par l'expérimentation le champ de mes connaissances et m'éclairer en ce qui concerne les problèmes troublants du métapsychisme. Dans cet intervalle, j'ai essayé d'aborder la doctrine théosophique, mais mes dents se sont ébréchées sur l'indigeste brouet du Karma. J'ai lu les vénérables bouquins des alchimistes, des hermétistes, des magistes, j'ai pâli sur Fabre d'Olivet, Eliphas Lévi, Stanislas de Guaïta, Papus. Ces auteurs expliquent obscurément les symboles représentés par les grimaçantes figures, les dessins de cauchemar et les gravures magiques ; ils annoncent qu'ils vont dévoiler les secrets de la grande clavicule : mais ne les possédant pas eux-mêmes, ils ne dévoilent rien autre chose que leur propre ignorance, et se dérobent dans un prudent galimatias ou bien révèlent des formules bizarres à base d'urine de crapaud ou de graisse de léopard. Veut-on corser la mixture ? rien de plus facile : il n'y a tout simplement qu'à lui incorporer un crâne de parricide ; (dans ce cas, il est utile d'être en bons termes avec le bourreau et de s'en faire un ami intime.) D'autres auteurs s'esquivent en prétextant que la révélation des vieux arcanes leur coûterait vie.

La seule chose à retenir, dans ces grimoires, c'est que les philosophes du Moyen Age paraissent avoir connu l'unité de la Matière, supérieurs en cela à nos savants modernes qui commencent à peine à la soupçonner :

Crookes, dit Gustave Le Bon (Evolution de la matière) supposait que les molécules de gaz raréfié, électrisées au contact de la cathode, étaient simplement écartées, sans que leur structure en fût changée. On ne savait pas, à cette époque, que l'atome pouvait être dissocié et l'on crut qu'il était simplement subdivisé en d'autres atomes conservant les propriétés de la matière dont ils provenaient. Mais cette hypothèse devint insoutenable devant le fait que les gaz les plus différents, contenus dans l'ampoule de Crookes, donnent des produits de dissociation identiques, n'ayant conservé aucune des propriétés des corps dont ils sont issus... On aurait pu facilement conclure que les atomes sont formés des mêmes éléments...

D'autre part, Berthelot a pour ainsi dire implicitement reconnu exactes les théories des alchimistes en déclarant que nul ne peut affirmer que la fabrication des corps réputés simples soit impossible a priori.

Je possédais donc un peu de théorie et quelque pratique ; je m'étais familiarisé avec les sujets sensitifs, j'avais appris à connaître leurs qualités et surtout leurs défauts. Cette longue période d'expérimentation m'évita d'être dupé, de confondre un état avec un autre et de prendre pour un message de l'au-delà une action télépathique quelconque, lorsque, en 1908, je fus amené très fortuitement à m'occuper du spiritisme.

Au surplus, j'avais encore d'autres raisons pour me garder de toute crédulité ; ces raisons, je les trouvais dans mes propres sentiments, dans l'éducation que je m'étais faite, dans les milieux que j'avais fréquentés, dans ma nature profondément matérialiste, dans les idées positivistes qui avaient mes préférences. Mon directeur de conscience, c'était Voltaire ; mon bréviaire se résumait dans la formule de Blanqui : Ni Dieu ni Maître. Comme on le voit, s'il y a des gens qui renient leur origine, leurs tendances, leurs préférences, je ne suis pas de ceux-là ; j'ai toujours eu pour devise la maxime de Juvénal : Vitam impendere vero ! Consacrer sa vie à la vérité.

Telle était ma mentalité à l'époque où je fis une rencontrer qui devait avoir sur moi une influence considérable.


Chapitre II

Les premiers pas

Je rentrais chez moi, bien tranquillement, n'étant pressé par rien d'important, convié à la promenade par la tiédeur printanière d'une belle matinée de mai. Dans le Midi, cette saison est souvent précoce et donne un avant-goût des chaleurs torrides prochaines ; son se hâte de jouir des vents encore frais avant d'affronter les terribles autans de l'été qui n'existent pas, hélas, dans la seule imagination des poètes. Je longeais lentement les rues, pratiquant avec joie un footing modéré dont j'escomptais les bienfaisants effets. Suivant la même route, un tramway passa. Sans motif, d'un mouvement spontané, impulsif, irraisonné, pour ainsi dire fatal, je montai dedans :

« Tiens, comment ça va ? »

Celui qui m'interpellait ainsi était un monsieur que je connaissais depuis quelque temps, M. Doris. Grand parleur, portant beau, brave homme, il me montra des livres qu'il venait d'acheter.

« Léon Denis ? Gabriel Delanne ? Connais pas ; qu'est-ce que c'est que ça ? lui demandai-je.

  • Ce sont des livres de spiritisme.

  • Des livres de spiritisme ? ah ! elle est bien bonne ! et vous croyez à ces blagues-là, à votre âge ?

  • Comment, si j'y crois ! mais je crois bien, me répondit-il d'une façon aussi dénuée d'artifice que de style.

Et il se mit à me raconter des histoires extraordinaires de fantômes, de pluies de pierres, de maisons hantées, choses stupéfiantes qui me laissaient incrédule. Avant de nous quitter, il m'offrit de me faire assister à quelques séances et nous prîmes rendez-vous pour le lundi suivant.

Au plus loin que remontent mes souvenirs, le spiritisme m'apparaît sous les traits d'un vieillard sordide qui demeurait dans notre voisinage et qu'avec mes frère et sœurs nous appelions l'Avare. Il avait la réputation de parler aux morts ; et comme sa maison était voisine d'un cimetière, notre imagination d'enfants aidant, nous éprouvions une grande curiosité mêlée de frayeur quand nous passions devant chez lui. Nous ne manquions pas de nous retourner vers cette vieille masure où le Mystère trouvait une hospitalité peu confortable ; les plus grands allaient jeter dans le trou de la serrure un coup d'œil rapide puis nous rejoignaient bien vite, tout fiers de leur audace. Mais si, par aventure, l'un d'eux se risquait jusqu'à donner un coup de poing dans la porte, alors toute la bande, prise de terreur, s'enfuyait au galop.

Plus tard, j'entendis raconter des choses, à propos de certain cordonnier qui conversait avec les esprits, à grand renfort d'oraisons et de prières. Une de mes sœurs connaissait une dame dont la cousine avait eu, d'une des fidèles habituées, quelques renseignements pleins d'intérêt, mais imprécis que le colportage amplifiait et embellissait.

Tout cela m'avait laissé un vague désir d'être spectateur des ces pratiques inconnues ; elles n'avaient pour moi qu'une valeur de curiosité, et je ne m'étais jamais arrêté à l'idée qu'il pouvait y avoir en elles la moindre parcelle de vérité ; mais après en avoir été le témoin, je pourrais, en connaissance de cause, les discuter et les combattre.

Les personnes chez qui nous allâmes habitaient un petit logement tout juste suffisant pour elles trois : la mère et les deux filles. Elles se disaient médiums, mais autant que j'en pu juger, leurs facultés étaient faibles. Nous trouvâmes là deux autres personnes : M. Guérin, qui avait une grande habitude de l'expérimentation, et une dame Théo dont on vantait les facultés surprenantes.

A notre arrivée, M. Doris remarqua l'absence d'une des sœurs ; nous apprîmes qu'elle était malade et n'assisterait pas à la réunion. On prit place autour d'une table sur laquelle étaient disposés quelques feuilles de papier et des crayons.

M. Doris lut alors un long chapitre dans un livre spirite, puis fit l'invocation : Nous prions Dieu tout-puissant de nous envoyer de bons esprits... ; après quoi il demanda à l'esprit du docteur du Potet de vouloir bien se communiquer. Au bout d'un moment, la jeune fille fit quelques mouvements saccadés, commença à tracer des traits, et enfin se mit à écrire ; c'est ainsi que nos apprîmes que l'esprit appelé était présent. M. Doris le questionna sur l'état de la malade et le traitement qu'il faudrait lui appliquer ; le médium écrivait lentement, difficilement : donnez-lui de la tisane... du bouillon... du jus de viande... du bon vin... du quinquina... - Je saisis l'occasion : « Du vin ? du quinquina ? du jus de viande ? mais il y a un vin qui renferme tous ces principes ; ne pourrait-on lui en donner ? »

Je pensais au VIN AROUD.

Du Potet restait indécis, paraissait chercher ; subitement, Mme Théo qui était à ma droite fut prise de mouvements spasmodiques ; elle prit vivement un crayon et traça ces mots : VIN AROUD, puis elle continua à écrire quelques conseils appropriés.

J'étais fixé ou du moins je croyais l'être. Je venais d'assister au plus beau fait de transmission de pensée. Les débuts s'annonçaient bien.

Voilà, pensai-je, ce qu'on appelle le Spiritisme, voilà ce qu'on prétend être la communication des Esprits. Ces braves gens ne s'aperçoivent pas qu'ils sont victimes d'une illusion ; ils voient des morts là où il n'y a que des vivants ; ils prennent la transmission télépathique de deux cerveaux humains pour une manifestation d'outre-tombe. Quelle naïveté !

(Avant d'aller plus loin, je me hâte de dire que c'est la seule fois qu'un tel fait m'est arrivé. A la fin du livre, je démontrerai que la transmission de pensée, en matière spirite, n'existe pas.)

En m'en revenant, je songeais :

« Spiritisme, spiritisme ! Il n'y a pas plus de spiritisme qu'il n'y a d'esprits ; tout se passe en nous, tout est en nous. Hors de nous, il n'y a rien ; après nous, il n'y a rien. Les tables tournantes, l'écriture automatique, la trance, la voyance ? Mouvements inconscients, productions folles du cerveau, chimères ! Nous mourons, et tout est fini ; nous mourons, et nous ne sommes plus, jamais ; et c'est bien ainsi, car la vie est vraiment trop dure. Réincarnation ? Quelle misère ! et quel malheur si nous devions revenir encore, pour peiner, pleurer, souffrir ! Non, non la vie se termine avec le dernier battement du cœur ; ce n'est pas notre âme qui s'envole, c'est l'animus, c'est notre souffle qui s'exhale. Le foyer est éteint, la cheminée ne fume plus, c'est fini. Tout le reste ? Rêveries fantaisistes, conceptions de fous, utopies ! La Matière, voilà qui est tangible, palpable, sensible : c'est elle qui nous fait souffrir, qui cause notre orgueil ou notre humiliation ; c'est elle que nous parons, que nous soignons, dont nous maintenons le bon fonctionnement, la santé, la beauté.

« On parle des peines morales, des chagrins, du désespoir causé par les séparations éternelles : mais tout cela n'existe que par ses rapports avec la Matière. La douleur la plus profonde que nous puissions ressentir, celle que nous donne la perte d'un être cher, celle d'un enfant adoré : la mère qui le pleure songe-t-elle aux qualités morales de son enfant, qualités qu'elle n'a pas même connues s'il est mort en bas âge ? Ne pleure-t-elle pas avant tout cette chair qui est sortie de la sienne, qui fait partie intégrante d'elle, et qui déjà va se décomposer et se détruire ? Ne pleure-t-elle pas ces baisers dont elle couvrait le corps nu de son petit ? ne pleure-t-elle pas les douces caresses que le cher petit être lui rendait et dont elle ne sentira plus le contact sur sa chair maternelle ? Matière, tout n'est que matière. »

Lorsque je revis M. Doris, quelques jours après, je crus inutile de lui donner brutalement mon impression. J'acceptai même son invitation à aller chez lui assister à d'autres séances. Il se portait garant des facultés de Théo. Elle était, paraît-il, un des sujets qu'avait essayé le docteur Ferroul dans ses expériences psychométriques avec le professeur Grasset. M. Guérin qui travaillait avec elle depuis plusieurs mois d'en déclarait très satisfait.

La première séance chez M. Doris, comme celles qui suivirent, ne fit que me fortifier dans mes préventions contre le spiritisme ; il ne s'y produisit que des phénomènes d'auto-suggestion qui simulaient parfaitement la trance. La différence entre cette dernière et les différents états spiritoïdes et toujours très difficile à saisir, et les plus exercés peuvent s'y tromper. Le meilleur moyen d'éviter d'être dupé, c'est d'exiger des preuves ; mais dans les milieux comme celui-là, on n'en demande jamais.

L'esprit familier de Théo était un curé de campagne nommé Astruc ; quand il s'incorporait, on voyait le médium s'installer confortablement dans le fauteuil, les jambes croisées, et tirer quelques bouffées d'un cigare imaginaire. Frondeur et bonhomme, il racontait des histoires grivoises sur le compte de ses ex-paroissiennes et bêchait le gouvernement. Quand il avait copieusement bavardé, il laissait la place à d'autres.

A cette première séance assistait un jeune homme qui devait s'embarquer prochainement pour le Congo. M. Doris appela l'esprit de Savorgnan de Brazza, lui demanda de protéger le jeune voyageur et de l'aider dans ses entreprises. A mon tour, je demandai à de Brazza s'il serait capable de tracer la carte du Congo : « rien de plus facile me répondit-il, mais pas aujourd'hui ; ce sera pour la prochaine fois. » A la séance suivante, il déclara qu'il fallait attendre encore ; enfin à la troisième, le médium dessina sur une feuille de papier, non pas le territoire du Congo, comme je m'y attendais, mais le cours du Fleuve, avec ses cataractes et ses affluents, avec une suffisante exactitude. Avait-il, dans l'intervalle des séances consulté un atlas ? c'est possible ; en tout cas, on ne saurait l'affirmer.


Chapitre III

Crédulité

M. Doris, qui était croyant, était aussi très crédule ; il prenait au sérieux tout ce que lui disaient les médiums. Pour lui, tout a une cause spirituelle, même nos tares pathologiques. Lorsqu'il souffrait de douleurs arthritiques, dues à son tempérament et à son âge, il ne manquait pas de les attribuer à l'influence des mauvais esprits. Au cours de nos réunions, j'ai pu constater à quel excès peut être poussée la crédulité ; en voici deux exemples :

Il était en procès avec une marquise pour le compte de laquelle il avait fait d'importants travaux ; il y avait en jeu une centaine de mille francs, et cette affaire le préoccupait à tel point qu'il ne laissait jamais passer une séance sans demander au curé Astruc quelle en serait l'issue. Celui-ci répondait invariablement : Soyez tranquille, vous gagnerez votre procès. Mais lorsque, 15 ou 18 mois plus tard, l'affaire est venue devant le Tribunal, il a bel et bien perdu son procès.

Il consultait également Astruc au sujet de son fils, élève des Beaux-Arts, qui préparait le concours de Rome ; non moins invariablement Astruc affirmait : Mais oui, mais oui, il sera Grand-prix. A l'entendre, c'était couru, il n'y avait pas à en douter ; cela n'empêcha pas, au moment des concours éliminatoires, que Doris fils, ne fut même pas admis à monter en loge.

Et bien, malgré ces déceptions qui chagrinèrent beaucoup le père, celui-ci n'en conserva pas moins toutes ses illusions, et continua à s'incliner aveuglément devant les affirmations des prétendus esprits. C'est ainsi que cela se passe dans certains groupes spirites ; on y fait d'abondantes prières, mais en revanche, toute discussion y est interdite et l'on y regarde d'un mauvais œil l'indiscret qui se permet de relever des contradictions ou de réclamer des preuves. Aussi le prosélytisme actif d'un Doris, quoique animé des meilleures intentions, porte un préjudice énorme à la doctrine qu'il prétend servir.

Tout récemment, Gabriel Delanne nous racontait une scène comique à laquelle il assista dans sa jeunesse ; dans une réunion où régnait une demi-obscurité, des jeunes gens, par manière de plaisanterie, avaient montré à une vieille dame le portrait de Bismarck, et celle-ci, pleine de crédulité, de confiance et d'émotion, n'avait pas hésité à reconnaître sous cette grosse moustache le fantôme de sa grand-mère.

C'est aux gens simples de cette espèce qu'il faut imputer la lenteur de la propagande ; pour ma part, si je me suis cantonné dans l'incroyance pendant tant d'années, c'est à cause des puérilités, de la crédulité aveugle, des pratiques enfantines, du rituel quasi-mystique dont si peu de groupes ont su s'affranchir. Le spiritisme doit rester une philosophie expérimentale, démontrable, discutable, adogmatique et ne pas chercher à se substituer à une religion quelconque. Il doit être question de logique et non article de foi.

Quant au souci de nos propres affaires, nous ne devons pas le confier aux esprits qui, s'ils ne nous trompent pas, peuvent se tromper ; ne nous abandonnons pas à leur direction ; laissons-nous guider d'abord par la raison et le jugement critique.

J'ai vu tant de personnes trop confiantes demander aux esprits des conseils d'ordre matériel que je crois bon de leur dire : les esprits ne sont pas faits pour nous éviter les douleurs de la vie, mais pour nous soutenir dans nos épreuves. Ils ne peuvent guère nous donner de renseignements pour la gestion de nos affaires, alors que, de leur vivant, ils ont eu souvent bien du mal à gérer les leurs. S nous n'avons pas de capacités suffisantes pour affronter les grands concours, ce n'est pas eux qui pourront y suppléer. Ce n'est pas eux qui nous indiqueront le numéro qui va sortir de la roulette ou le cheval qui va gagner la course ; s'ils ont pu le faire parfois, ce n'a été que d'une façon tout exceptionnelle, mais ceux qui ont voulu en tirer profit ont eu toujours à s'en plaindre. Ne traitons donc pas les esprits comme de vulgaires marchands de tuyaux. Les morts ont droit à plus de respect.

Au milieu de ces incohérences, j'eus pourtant, à plusieurs reprises, des communications touchantes. Ma mère pour laquelle j'ai conservé un vrai culte, vint me manifester sa joie de me retrouver ; j'en fus très violemment ému, mais, à la réflexion, mon entêtement matérialiste reprit l'avantage et comme elle n'avait pas pu me donner sur notre famille des détails précis, j'en revins à mon opinion première : il n'y a pas d'esprits ; il n'y a pas de survivance ; il n'y a que la Matière.

M. Doris me fit connaître d'autres personnes qui se disaient médiums mais qui n'en valaient pas mieux ; de guerre lasse, je perdis l'habitude d'aller chez lui, mais je continuai cependant mes expériences avec Théo. En tant que médium, je l'ai déjà dit, elle était douteuse et ne dédaignait pas de donner un coup de pouce personnel lorsque les communications ne se faisaient pas.. D'après elle, je jugeais les autres médiums ; j'avais tort, car il ne faut pas les mettre tous sur le même plan : il y a d'excellents médiums, il y en a de médiocres, le tout est de mettre la main sur les bons.


Chapitre IV

Clairvoyance et poésie

La sensibilité de Théo à l'action magnétique était remarquable ; elle faisait aussi avec une grande exactitude la lecture psychométrique. Certain dimanche, à 3 heures après-midi, je lui remis une lettre en la priant de me dire ce que faisait à ce moment-là celui qui me l'avait écrite. Elle vit tout de suite que c'était mon frère, me décrivit minutieusement la maison avec toutes ses particularités, les grandes cartes de géographie qui en ornaient les murs, le bureau où lui-même travaillait à des écritures : « Il est seul, me dit-elle, sa famille est sortie ; il paraît très absorbé. Je vois beaucoup de chiffres. Ah, voici quelqu'un : un homme petit, trapu, barbu ; c'est un parent ou un ami ; ils causent ; ils sont très contents de se voir. Les voilà qui sortent. Ils vont retrouver la famille dans un jardin. »

J'écrivis à mon frère pour me renseigner. Il me répondit qu'en effet, à l'heure indiquée, il se trouvait seul dans son bureau, recherchant une erreur de comptabilité ; que notre beau-frère Georges, se trouvant de passage, était venu le surprendre et qu'ils étaient sortis ensemble pour aller retrouver la famille au jardin public.

A quelques mois de là, je lui remis une autre lettre de mon frère ; il avait changé de résidence dans l'intervalle. Elle me dit : « Je vois de l'eau ; c'est un port de mer ; attendez, c'est Toulon. C'est votre frère ; il vous invite à y aller. Je vois un bateau ; il s'appelle Pa...pa, on dirait PATRIE. Il y a une fête, beaucoup de monde ; c'est très beau. » Mon frère m'écrivait, en effet, pour m'inviter à assister à Toulon au lancement du cuirassé PARIS qui se fit en grande pompe, en présence de M. Delcassé, ministre de la marine, et d'une délégation du conseil municipal de Paris.

Le même jour, elle me fit une autre lecture psychométrique, d'une précision encore plus remarquable. J'avais reçu, le matin même, une facture d'un fournisseur et, sans l'ouvrir, je l'avais mise dans ma poche, la réservant pour une expérience. J'en ignorais donc le contenu. Je la remis à Théo qui, comme d'habitude la flaira, la palpa et la porta à son front. Elle se mit ensuite à tracer sur une feuille de papier des lignes verticales. Je lui demandai pourquoi :

« C'est une facture, répondit-elle.

  • Pouvez-vous m'en indiquer le montant ?

  • Je vais essayer. »

Et dans la colonne des centimes, de droite à gauche, comme si elle totalisait, elle inscrivit 5 puis 2 ; dans la colonne des francs : 3-0-1, ce qui faisait 103 fr. 25. Je fus très étonné, car, à mon estimation, le total ne devait pas dépasser 80 francs. J'ouvris l'enveloppe, j'en retirai la facture et nous pûmes tous constater que le montant en était bien de 103 fr. 25.

Elle produisait fort bien des phénomènes de télesthésie ; en faisant au-dessus de son bras étendu de très longues passes, je pouvais extérioriser à 2 ou 3 mètres la sensibilité de sa main ; dans cet état, elle fouillait dans un tiroir placé à l'opposé de la pièce, énumérait tous les menus objets qui s'y trouvaient, s'y piquait à des épingles, etc.

L'avant-veille du Grand-Prix, je lui donnai la vision anticipée de la course ; elle vit la multitude qui emplissait les tribunes et la pelouse, les chevaux fringants, les jockeys multicolores ; elle donna même le nom du gagnant, mais là, elle commit une légère erreur, car ce cheval, ainsi que nous l'apprîmes deux jours après, n'arriva que second ; mais il figurait dans la course.

De temps à autre, nous faisions des évocations, à la demande de quelques amis ; pour ma part, mon siège était fait et mon refrain ne variait pas : le spiritisme, c'est de la blague !

Dans une de ces séances, elle nous donna par écriture automatique, les vers suivants :

Dieu prit sa plus molle argile,

Son plus pur Kaolin ;

Il fit un bijou fragile

Mystérieux et câlin.

Il fit le doigt de la femme

Ce chef-d'œuvre auguste et charmant.

Ce doigt fait pour toucher l'âme

Et montrer le firmament.

Dieu finit son ouvrage

Et dit aux anges : voilà !

Puis s'évanouit dans l'espace.

Le diable alors s'éveilla ;

Dans les nuages où tout repose

Il vint tout noir à l'Orient,

Et tout au bout du doigt rose

Il mit un ongle en souriant.

Cette fantaisie était signée Victor Hugo ; je lui fis remarquer que cette pièce, malgré une certaine grâce de journal de modes, renfermait des fautes de prosodie ; alors elle rectifia ainsi : Un poète inspiré par V. Hugo.


Chapitre V

Essais infructueux

Dans le début de l'année 1911, une dame que je ne connaissais pas, Mme G. de Redon, vint me trouver pour m'inviter à aller chez elle avec Théo. Quelques amis lui avaient parlé de nos expériences, et elle se montrait fort désireuse de nous mettre en rapport avec un monsieur qui venait de perdre sa mère.

Cet événement l'avait plongé dans une profonde douleur qu'il espérait combattre s'il arrivait à communiquer avec la chère disparue. Pourtant, il n'était pas croyant, bien loin de là ; c'était, au contraire, un parfait sceptique, et ses sentiments intimes étaient inconciliables avec son ardent désir de parler à une morte ; ce qui prouve qu'il est parfois difficile d'être logique avec soi-même. Etranges contradictions de l'âme humaine !

Top heureux si je pouvais apporter à cette vraie douleur quelque soulagement, je promis ce qu'on me demandait, tout en faisant les plus expresses réserves quant au résultat.

« Voyez-vous, dis-je, on ne sait rien, ou ce qu'on sait ne prouve pas grand-chose.

  • Alors, vous ne croyez pas au spiritisme ?

  • Ma foi, madame, depuis le temps que je cherche, je n'ai jamais rien trouvé d'absolument probant. J'ai toujours cru et je crois plus que jamais qu'au fond de tout cela, il n'y a aucune réalité. J'ai assisté à bien de séances, j'ai vu des tables tourner, des médiums écrire, j'ai entendu leurs communications, mais dans des conditions qui m'ont toujours fait songer à la transmission des pensées, à la télépathie, à quelque vague subconscience. Peut-on jamais dire que c'est un désincarné qui parle, alors que le médium peut puiser ses éléments d'information soit dans son propre cerveau, soit dans les souvenirs conscients ou inconscients des assistants ? Enfin, nous essaierons. »

Chez Mme de Redon nous trouvâmes un monsieur d'âge mûr, d'un abord froid mais très sympathique, que j'appellerai M. Laustère. Il paraissait, en effet, très affecté. Je lui exprimai les mêmes réserves que j'avais déjà formulées ; Théo s'installa dans un fauteuil, je fis l'invocation de l'esprit qui s'incorpora. Il parla peu, fut sobre de renseignements ; comme il arrive presque toujours en pareil cas, il paraissait être dans cet état particulier de trouble, ne se rendait pas compte qu'il était mort et répondait avec difficulté aux questions qu'on lui posait. M. Laustère reconnaissait pourtant quelques gestes, des attitudes familières, notamment quand le médium se soulevait légèrement sur son siège en regardant alternativement les deux bras du fauteuil : « Ma mère aurait fait comme cela » dit-il ; mais dans son ensemble, la communication ne lui donna pas ce qu'il avait espéré. Nous prîmes rendez-vous pour la semaine suivante.

Cette fois, M. Laustère avant d'évoquer sa mère, demanda à Théo d'essayer de lire un court billet qu'il avait préparé et enfermé dans une enveloppe. C'était un homme de précaution. Il recouvrit lui-même d'un épais bandeau les yeux du médium que j'endormis ensuite par des passes.

Elle flaira l'enveloppe, l'appuyas sur son front, mais la rendit peu après en disant qu'il y avait trop d'épaisseurs, que ça l'empêchait de voir nettement. M. Laustère retira le billet de son enveloppe et le rendit, plié en quatre, à Théo qui put alors lire ceci : « Devant partir prochainement en voyage » mais malgré sa bonne volonté, il lui fut impossible d'aller plus loin. On déplia le papier ; c'était un court billet commençant par ces mots : « Devant partir prochainement un voyage », puis venait un mot raturé qui avait opposé à la clairvoyance de la psychomètre une barrière infranchissable.

Après cela nous fîmes un deuxième appel de Mme Laustère ; le résultat ne fut pas meilleur que précédemment ; elle fit les mêmes gestes, ne donna pas de nouveaux détails, ne trouva pas les mots nécessaires pour convaincre son fils ; nous décidâmes d'en rester là.

Trois années s'étaient écoulées depuis la séance du Vin Aroud ; trois années de recherches consciencieuses et patientes. Qu'en était-il résulté ? du découragement. Quelle en était la conclusion ?

LES ESPRITS N'EXISTENT PAS


Deuxième partie

Doute

LES ESPRITS EXISTERAIENT-ILS ?


Chapitre VI

Faits troublants

Célibataire, resté seul à 55 ans, M. Laustère trouvait bien vide son bel appartement bourgeois et il y restait le moins possible. Les vacances étaient arrivées ; il en profita pour aller à Paris. Toujours obsédé de la même idée, il fit demander à un médium, Mme de Mozard, une communication avec sa mère qu'il ne put obtenir dans de bonnes conditions. Au moment où il allait se retirer, Mme de Mozard lui dit : « Vous allez apprendre une mort qui est de nature à léser vos intérêts. Je vois aussi que vous serez demandé en mariage ; plusieurs fois ; mariages d'argent ; mon Dieu, que d'argent ! »

M. Laustère sourit ; à son âge, on ne songe guère à se marier ; de plus, il n'est pas encore entré dans les usages que ce soient les dames qui fassent les premières avances.

Le lendemain, il apprenait par les journaux la mort d'un de ses locataires avec lequel il venait de passer un bail avantageux que cette mort rendait caduc. Il du rentrer.

Quelques jours après son retour, il reçut à trois reprises différentes des propositions de mariage très sérieuses, d'autant plus alléchantes que, chaque fois, la dot qu'on offrait était considérable. Il préféra rester dans sa solitude un peu égoïste et continua à fréquenter les nombreux amis qui constituaient désormais son unique foyer.

C'est alors que certains faits bizarres vinrent l'inquiéter.

Une nuit, il eut pendant quelques secondes la sensation que son lit se balançait doucement, animé d'un mouvement semblable à celui d'un bateau sur une eau calme. Surpris, il se tourna vers un magnifique portrait de sa mère, entre les rideaux : « Maman, s'écria-t-il, si c'est toi, fais encore remuer le lit. » Celui-ci se balança de nouveau, plus fortement. Très émotionné, il cria : « Maman, maman, je crois maintenant que c'est toi, mais n'insiste pas, je t'en prie ». A ce moment son regard s'étant porté vers l'armoire, il aperçut une ombre fuyante qui se reflétait dans la glace et qui s'y perdit. Ill resta quelques instants dans une grande anxiété ; puis, s'étant ressaisi, supposant qu'un malfaiteur s'était peut-être introduit chez lui, il se leva, prit une arme et visita l'appartement dans tous ses recoins. Ce fut en vain.

Une autre nuit, il entendit distinctement les lames du parquet qui craquaient, comme si un personnage invisible marchait au milieu de la pièce ; s'étant levé, il regarda sous les meubles et ne vit rien. Inutile de dire que M. Laustère a une vie parfaitement réglée, ne sort jamais de son état normal et n'a jamais eu d'hallucinations.

Mme de Redon allait parfois chez lui s'assurer de la bonne tenue de l'appartement ; certain jour, comme elle venait d'entrer et qu'elle refermait la porte, elle entendit une voix qui l'appela par deux fois : « madame, madame » ; mais elle non plus ne vit personne ; la maison était vide.

Certaines circonstances rappelèrent Monsieur Laustère à Paris. Ce fut pour lui une occasion de revenir chez Mme de Mozard.

« Connaissez-vous quelqu'un qui s'appelle Philippe ? lui demanda-t-elle.

  • Philippe ? mais c'est mon nom ; pourquoi cette question ?

  • Mais parce que j'entends qu'on appelle Philippe.

  • Qui ça ?

  • C'est une personne âgée, une femme.

  • Demandez-lui son nom.

  • Attendez... j'entends : Amélie ; mais monsieur, c'est votre mère.

  • C'est tout ce qu'elle vous dit ?

  • Elle prononce un autre nom : Caro ».

  • C'est curieux, disait-il plus tard en racontant cette scène, je pensais à ce moment au nom de famille de Mme de Redon et ce fut l'abréviation de son prénom, Caroline, qui m'a été donné ; je ne l'avais pas du tout dans ma pensée. Caro, oui, c'est bien ainsi que disait familièrement ma mère.

Sa robuste incroyance chancelait : « Est-ce bien ma mère qui est venue chez Mme de Mozard ? Est-ce une illusion ? Pourtant cette dame ignore qui je suis. Subconscience ? Télépathie ? »

Il hésitait, il doutait, jeté d'une idée à une autre, et l'instant d'après, il était ramené à son opinion première.

« Non, non, ma mère m'aimait trop ; il n'est pas possible qu'elle m'ait quitté. Dieu ne crée pas ainsi des êtres pour les séparer à tout jamais. C'était plus que ma mère, c'était ma confidente, mon amie ; nous avons passé notre vie côte à côte, l'un pour l'autre. Je veux, je veux savoir si la mort brise tout, s'il n'y a plus rien après nous, après la destruction du corps. Où est-elle, mon Dieu, où est-elle ? »

Il se livrait en lui un combat. C'était le perpétuel Conflit de la Raison et du Sentiment, plus aigu, plus poignant et combien plus vécu que celui décrit par Le Dantec. Tous ceux qui cherchent sincèrement, qui ont voulu pénétrer, déchiffrer le problème de la destinée humaine, connaissent ces alternatives, ces heures découragées où, ballotée, désemparée, l'âme se trouve plus devant elle que le vide.

Mme de Redon, intriguée par le résultat des deux visites que M. Laustère avait fait à Mme de Mozard, écrivit à cette dernière pour lui demander son horoscope ; elle reçut une longue réponse dans laquelle étaient annoncés certains événements intimes qui ne se sont pas encore réalisé ; par contre, il y avait la prédiction suivante :

« Madame, vous aurez un deuil proche qui augmentera votre situation. »

Cette phrase la laissa sceptique : « Je n'ai plus que deux parents, disait-elle, mon fils et mon frère. Si c'est mon fils qui doit mourir ma situation n'en sera pas augmentée ; si c'est mon frère, nous hériterons de lui, en effet, mais il n'y a pas d'apparence qu'il soit près de nous quitter. Il est encore solide. »

Ce frère habitait du côté de Villefranche, près de Labastide-Beauvoir, une commune dont il était maire ; il y menait la vie du gentilhomme campagnard, chassant toute la journée, plein d'entrain et de santé, extrêmement robuste.

On était dans la dernière semaine d'octobre, Mme de Redon annonça qu'elle allait s'absenter deux ou trois jours pour aller fleurir le tombeau de ses parents à l'occasion de la Toussaient ; elle promit d'être rentrée le 2 novembre.

Elle ne fut pas exacte au rendez-vous ; M. Laustère reçut une lettre dans laquelle elle lui disait, en substance : « mon frère a pris froid et garde la chambre ; rien de grave, mais je reste quelques jours pour le soigner. » Le surlendemain, nouvelle lettre : « Pas de complications, j'attends encore. » Enfin, le 5e jour, arriva le télégramme suivant : « Frère mort. »

Tous ces événements, reliés entre eux, devenaient éloquents par leur précision ; on ne pouvait, de bonne foi, les attribuer à une suite de coïncidences ; nous sentions en nous comme une angoisse.

Il arrive un moment où, devant une série de faits, notre raison exige une explication. Cette explication, qui aurait pu être celle donnée par la doctrine spirite, nous la repoussions de parti-pris, nous référant toujours à l'autorité scientifique, laquelle, pensions-nous, ne peut pas se tromper.

« Peut-on considérer comme une preuve les fait qui se rattachent à la mort de ma mère ? disait M. Laustère retombé dans ses doutes. Les deux communications données par Théo, celles de Mme de Mozard, les balancements du lit, l'ombre fuyante, les bruits du plancher, les appels entendus par Mme de Redon : y a-t-il en tout cela autre chose que subconscience, auto-suggestion ou hallucination ? Ces attitudes, ces détails, ces noms donnés, mais je les connaissais moi, ils me sont familiers ; c'est un jeu pour un sujet magnétisé ou sensible, de les lire dans ma pensée.

« Ah ! si l'on pouvait établir la preuve formelle de l'identité des esprits ! si nous pouvions recevoir des messages de désincarnés totalement inconnus de nous, sans notoriété aucune, des esprits dont nous n'aurions jamais entendu parler, que nous n'aurions jamais rencontré dans toute notre existence ! S'ils venaient nous donner sur eux-mêmes, sur leur vie terrestre, des renseignements contrôlables ! Quel argument formidable cela constituerait en faveur de la survie !

« Les voilà, les témoins qu'il faudrait pour en attester la réalité, mais où sont-ils ? Les esprits qui se manifestent, nous les connaissons ; ce qu'ils nous disent, nous le savons, comme eux, mieux qu'eux ; ou bien, si ce sont des étrangers, ils nous racontent des choses extraordinaires, invraisemblables, incohérentes. Des preuves, des témoins, il faudrait des témoins. »

Son incrédulité, qui lui avait souvent masqué la vérité, persistait ; elle était tempérée, toutefois, par une persévérance tenace, et c'est grâce à elle qu'il se trouva un jour face à face avec un problème inattendu qui fut pour nous une véritable révélation.


Chapitre VII

Le premier témoin

Dans les maisons amies où il allait porter ses plaintes, on s'efforçait de le consoler : « Je n'aurai de tranquillité, répétait-il, que lorsque j'aurai acquis la certitude que ma mère existe toujours, qu'elle est auprès de moi, qu'elle veille sur moi et que je pourrai la retrouver lorsqu'à mon tour, j'aurai quitté la Terre. Quelle consolation ce serait pour moi si je trouvais un médium qui me fasse correspondre avec elle, sans qu'il y ait le moindre doute. Mais ce médium, où est-il ? le connaissez-vous ? »

Cet oiseau rare, hélas, il ne l'avait jamais trouvé ; peut-être n'existait-il pas ?

Un après-midi, c'était le 15 octobre 1911, se trouvant en visite chez une vieille amie, Mme Deturre, celle-ci lui dit que sa propre bonne faisait très bien marcher les tables ; « voulez-vous que je la fasse venir ? » proposa-t-elle.

Lorsque la jeune fille fut là, on la fit asseoir devant un guéridon sur lequel elle plaça ses mains, tandis que Mme Deturre et M. Laustère s'installaient sur des sièges à une distance d'un mètre. Au bout d'un quart d'heure environ, le guéridon fut soulevé.

M. Laustère interpella alors sa vieille amie pour attirer son attention ; quelle ne fut pas sa surprise de la voir plongée dans un sommeil si profond qu'elle n'entendait plus rien ! Il supposa alors qu'elle avait- peut-être des facultés médiumniques, et posant une question dans ce sens, la table frappa des coups formulèrent une affirmation très nette. Il plaça alors une feuille de papier sur le guéridon, mit un crayon dans la main complètement inerte de Mme Deturre et pria l'esprit qui déclarait vouloir se manifester par elle de donner par écrit ses nom et prénoms ; la réponse fut la suivante ;

R. - Marie Lablanqui, n'é à Toulouse en 1859.

D. - Donnez-nous la date exacte.

R. - Je ne sais plus.

D. - Où êtes-vous morte ?

R. - A l'hôpital, le 29 octobre 1904, salle Sainte-Germaine.

D. - Quel était le numéro de votre lit ?

R. - Je ne sais plus. Je suis morte des suites d'une opération au ventre.

D. - Donnez-nous le nom des infirmiers, des docteurs.

R. - Je ne m'occupais guère des noms.

D. - Où étiez-vous logée ?

R. - Ah ! Dans bien des endroits. Rue du Caillou gris ; il n'y avait pas de numéro. C'était la dernière maison de la rue, chez M. Bires, minotier. J'habitais le rez-de-chaussée.

D. - Etiez-vous mariée ?

R. - Je vivais avec un homme qui s'appelait Fernand Lagarde ; il faisait tous les métiers mais surtout brocanteur.

D. - Où était-il brocanteur ?

R. - Vous êtes un Saint-Thomas.

D. - Demandez-vous quelque chose ?

R. - Je ne demande rien, je suis très heureuse.

D. - Connaissez-vous quelqu'un ici ?

R. - Non, je suis attirée par les deux bonnes âmes qui y prient. Je viens souvent ici parce qu'il y fait bon.

D. - Quel âge avez-vous à votre mort ?

R. - Je ne sais plus. Vous n'avez qu'à calculer : 1859-1904.

D. - Quel est le numéro de votre tombe ?

R. - Ma tombe n'existe pas, personne ne s'occupe de moi.

D. - Où êtes-vous ici ?

R. - Entre les deux femmes.

D. - Nous voudrions vous voir.

R. - C'est impossible.

D. - Pourquoi ?

R. - Est-ce que je sais, moi !

D. - Chez qui travailliez-vous ?

R. - Demandez à l'hôpital les preuves. Je ne sais plus rien, adieu. »

M. Laustère restait très perplexe et ne s'expliquait pas ce qui venait de se passer ; il attendit que Mme Deturre se réveillât pour lui poser des questions, mais elle-même y comprenait moins encore. Toute sa vie s'était écoulée loin des spirites dont elle ignorait les pratiques et elle était arrivée à la soixantaine sans avoir fait de médiumnité, sans s'être jamais reconnu la moindre faculté. Elle fut grandement étonnée d'apprendre qu'on venait de lui en découvrir une, et ne pouvait pas croire que ce fût elle qui avait couvert cette feuille d'écriture.

M. Laustère vint me trouver et me raconta la chose ; je le plaisantai, le félicitai ironiquement de son succès. D'habitude, il faisait chorus avec moi, lorsqu'il s'agissait de blaguer les manifestations de ce genre ; cette fois-là, pourtant, je sentis en lui une grande réserve, et lorsqu'il me demanda si je voulais aller aux renseignements, je compris qu'un refus de ma part le désobligerait.

« Vous verrez, lui dis-je, que je ne trouverai absolument rien, ou bien alors, j'apprendrai que cette Marie Lablanqui est une ancienne domestique ou lingère de Mme Deturre, ou peut-être une amie de la bonne qui était à la table.

  • Ah ! pour ça, non ! vous pensez bien que c'est la première chose que j'ai demandé.

Ni Mme Deturre ni la jeune fille n'ont jamais approché Marie Lablanqui en quoi que ce soit ; je m'en suis assuré. Mais avant tout, voyons si elle a réellement existé. »

Le lendemain matin, je me rendis à l'autre extrémité de la ville, dans le quartier des minimes où se trouve la rue du Caillou-gris, longue rue qui se perdait alors dans les champs. Il faisait un temps affreux et je pestais contre la fantaisie de M. Laustère qui m'imposait une aussi désagréable corvée. J'entrai dans plusieurs maisons pour demander si on connaissait celle appartenant à M. Bires ; la réponse fut négative. Je triomphais ; je tenais une preuve nouvelle de la fausseté du spiritisme et je répétais par avance la réponse que je ferais à M. Laustère ; « Je vous l'avais bien dit ; tout ça n'est que de la blague ! »

J'arrivai au bout de la rue et je ne voyais plus de maison, ni à droite ni à gauche ; seul, un vieux bonhomme un peu boiteux venait lentement vers moi ; je l'interpellai :

« Bonjour, mon brave ; pouvez-vous me dire s'il y a dans cette rue une maison qui appartient à M. Bires ?

  • Oui, monsieur, j'y reste.

  • Ah !... Et où est-elle donc, cette maison ?

  • Eh bien, la voilà. »

Et il me montra un pavillon en retrait de la rue, en partie caché par des arbres et que je n'avais pas aperçu.

Dire l'étonnement que j'ai éprouvé à ce moment-là est- au-dessus de mes moyens ; je n'ai jamais eu dans ma vie une telle surprise. Comment, c'était ça, la maison ; M. Bires existait donc ?... mais l'autre ?... Marie ?... Je n'osais pas en demander davantage, tant le coup avait porté. Face à face avec le vieux, je devais ressembler au boxeur qu'un énergique direct vient de mettre knock-out ; mon interlocuteur, silencieux lui aussi, paraissait attendre les dix secondes réglementaires pour être proclamé vainqueur.

« Ah ! balbutiai-je enfin, c'est la maison de M. Bires ; très bien, très bien ; qu'est-ce qu'il fait, ce monsieur ?

  • C'est un minotier.

  • Y a-t-il longtemps que vous êtes son locataire ?

  • 18 ans.

  • Parfait. Vous avez dû connaître alors une nommée Marie, Marie Lablanqui...

  • La Marie ? oui, je l'ai connue, mais il y a longtemps qu'elle n'y est plus.

  • Où est-elle passée ?

  • Je crois qu'elle est morte. Elle était associée à un chiffonnier qui habite maintenant du côté des Ponts-Jumeaux ; lui pourrait vous donner plus de renseignements que moi »

Je m'en revins tout songeur ; une foule d'idées confuses et contradictoires se brouillaient dans ma tête ; ça n'allait pas du tout. Je n'étais pas en train.

A peine rentré chez moi, je reçus la visite d'un de mes amis, chez de clinique à l'Hôtel-Dieu ; je lui demandai s'il y connaissait une salle Sainte-Germaine : « oui, me répondit-il ; elle se trouve dans mon service. »

Sans lui donner des détails, je le priai de s'informer d'une nommée Marie Lablanqui dans la dite salle. Le lendemain, je recevais la fiche suivante :

1905

La vérification de cette identité fut extrêmement simplifiée ; deux personnes ont suffi pour nous éclairer sur les détails donnés par le médium improvisé. Il reste donc établi :

Qu'une femme nommée Marie Lablanqui a vécu à l'adresse qui a été donnée, rue du Caillou-gris, dans une maison appartenant à un minotier, M. Bires, et qu'elle est morte à l'Hôtel-Dieu de Toulouse, salle Sainte-Germaine. Il y a une différence sur la date du décès survenu le 29 octobre 1905 et non 1904 ; elle est bien née en 1859, puisque le bulletin de décès lui donne l'âge de 46 ans, mais elle est originaire de saint-Médard et non de Toulouse.

Nous aurons maintes fois l'occasion de constater ces erreurs qui portent principalement sur les noms et sur les dates, mais qui ne détruisent en rien les parties exactes de cette identification.

Doit-on croire à une fraude, à une mystification de Mme Deturre ? Cette dame n'attendait pas M. Laustère lorsqu'il lui fit sa visite ; elle-même ne se connaissait aucune faculté, et celle-ci s'est manifestée de la façon la plus fortuite, non pas même à la demande de M. Laustère qui l'ignorait également, mais sur les indications de l'entité qui agissait sur la table.

Est-ce par une opération mentale subconsciente que Mme Deturre a pu donner des détails aussi circonstanciés ? mais il faudrait établir, d'abord, qu'elle s'est trouvé, à un moment de sa vie, en contact avec Marie Lablanqui, qu'elle a entendu parler d'elle, ou qu'elle a lu dans les journaux quelque évènement se rapportant à la vie de cette femme ; et encore les journaux n'auraient pas cité tous ces faits hétérogènes et intimes. Aucune de ces raisons ne peut être invoquée : Marie Lablanqui a eu une existence modeste, effacée, sans notoriété ; le plus grand évènement dans sa vie fut certainement sa mort, mentionnée par les journaux d'une façon anonyme, ainsi qu'il est d'usage en province pour les décès dans les hôpitaux : Hôtel-Dieu : 1 (ou 2 ou 3).

Est-ce de la suggestion ? mais suggestion de qui ? de la bonne ? on alla la chercher au dernier moment sans lui dire pourquoi ; elle a formellement affirmé n'avoir jamais connu Lablanqui et toutes les raisons portent à croire qu'elle dit la vérité. La suggestion aurait-elle été donnée par M. Laustère ? encore moins ; lui non plus n'a jamais été en rapport avec Marie Lablanqui, n'a jamais entendu prononcer son nom. Il ne la retrouve pas dans ses souvenirs conscients et il se dit certain qu'elle ne peut exister dans a conscience subliminale.

Cryptomnésie ? Métagnomie ? Automatisme ? Pythiatisme ?

Ces noms de baptême donnés par des parrains plus épris de terminologie que de précision, ces néologismes rugueux ne prouvent rien, n'expliquent rien. Le nombre et l'exactitude des détails donnés ne se concilient pas avec ces diverses hypothèses ; une telle accumulation de faits, en se révélant, aurait ramené, par association, le réveil de la mémoire et des circonstances où ils ont été connus. Or, ce ne fut pas le cas.


Chapitre VIII

Nouvelles identifications,

nouveaux témoignages

Lorsque je rapportai le résultat de mon enquête à M. Laustère, il ne manqua pas d'en être frappé : « Voilà quelque chose de nouveau, dit-il. Il ne peut être question de supercherie ; nous sommes tous de bonne foi. Il faut étudier ça de plus près. »

Le 4 novembre, il retourna chez Mme Deturre, et obtient d'elle et de la bonne une nouvelle séance pour laquelle on procéda comme précédemment ; ce fut une autre entité qui se présenta et écrivit le récit suivant :

« Claude Louis né le 14 avril 1824 à Lyon.

« En 1848 j'ai été arrêté et j'ai fait quelques jours de prison pour mes idées trop avancées. J'avais beaucoup de libéralisme, une foi sans égale dans la marche ascendant de l'humanité vers un état social plus noble et plus heureux. J'ai consacré ma fortune à mon rêve. Presque sans ressource, ruiné, poursuivi, traqué, je suis allé m'installer à Roanne comme tailleur rue de la sous-préfecture. J'y fis de mauvaises affaires toujours à cause de mes opinions et revins à Lyon chercher une place d'ouvrier coupeur. Je suis mort à St-Rambert-l'Isle-Barbe près de Lyon le 28 janvier 1898.

D. - Que venez-vous faire ici ?

R. - Je suis un passant.

D. - Etiez-vous marié ?

R. - Oui, j'avais sept enfants je ne veux pas qu'on les trouble. Rien ne compte ici que les bonnes actions. Priez. »

Aucun des assistants n'a habité Roanne. M. Laustère fit l'enquête lui-même et reçut la copie suivante de l'acte de décès :

Ici, nous trouvons une différence de deux ans entre la date de naissance indiquée par l'esprit et celle de l'état-civil. Celle de la mort est exacte pour les jour, mois et année. L'enquête faite à Roanne fit connaître l'existence de la rue de la Sous-Préfecture, mais on ne put y retrouver la trace de Claude. Comme ce dernier à habité Toulouse, on pourrait croire que l'un des trois assistants a entendu parler de lui, sans en avoir conservé le souvenir. Ce serait un phénomène de cryptomnésie compliqué d'une transmission de pensée au médium si c'est un des expérimentateurs qui lui fournit inconsciemment les renseignements. Mais ici aussi, les détails donnés réveilleraient le souvenir et ce n'est pas davantage le cas que pour Marie Lablanqui.

Au surplus, il faudrait une mémoire exceptionnelle pour que le jour de la mort d'un obscur inconnu se gravât d'une manière indélébile dans les souvenirs de l'un des opérateurs ; comme nous aurons l'occasion de le voir souvent, il y a une multitude de petits faits qui ne peuvent être connus que du désincarné.

Le 25 décembre 1911, eut lieu, toujours dans les mêmes conditions, une troisième séance, à laquelle se présenta :

« Jeanne Cassan, née à Marcillac, canton et commune de Belois (Dordogne) le 23 février 1799, morte à Champagnac, canton et commune de Saint-Pardoux-Vielvic (Dordogne) le 25 novembre 1859.

D. - Etiez-vous mariée ?

R. - Oui, j'étais mariée ; mon mari s'appelait Jean Bonfils, cultivateur.

D. - Donnez la date de votre mort.

R. - Je vous l'enverrai un de ces jours ; moi je ne sais plus.

D. - Aviez-vous des enfants ?

R. - J'ai eu quatre enfants.

D. - Donnez la date de leur naissance ou de leur décès.

R. - Vous m'ennuyez. Ils sont tous morts.

D. - Pourquoi venez-vous ici ? Qui connaissez-vous ?

R. - Vous attirez les esprits. Vous jouez avec la santé du médium. »

Voici l'acte de décès :

La vérification de l'état-civil a révélé l'exactitude parfaite des déclarations de Jeanne Cassan, sauf la légère irrégularité d'orthographe qui a fait écrire Champagnac pour Campagnac.

A noter la date ancienne du décès : 1859. A cette époque M. Laustère avait 3 ans, le Médium 8 ans et la jeune fille à la table n'était pas née ; ni les uns ni les autres ne connaissaient ni Marcillac, ni Campagnac. L'invraisemblance d'une amnésie devient ici plus évidente encore et l'hypothèse spirite, dans un cas pareil, prend une consistance, une force que les raisonnements les plus philosophiques auront grand peine à détruire.

Depuis que M. Laustère avait entrepris ces séances, les personnalités qui se manifestaient lui recommandaient de ne pas continuer, à cause de l'âge et de la santé de Mme Deturre, le médium improvisé. M. Laustère aurait certainement obéi à cette injonction si les premières communications avaient donné un résultat négatif. On a vu qu'il en avait été tout autrement : encouragé par les enquêtes qui venaient confirmer les faits énoncés, vivement intéressé par une chose aussi nouvelle à laquelle il était loin de s'attendre, M. Laustère ne pouvait se résoudre à interrompre des recherches aussi fructueuses.

A la fin de la séance du 25 décembre, Jeanne Cassan avait terminé son récit en écrivant : « Vous jouez avec la santé du médium. » Après cela la table avait été vivement agitée par des mouvements désordonnés.

Très impressionné d'abord, M. Laustère avait promis de ne plus questionner les esprits ; serment d'ivrogne ! La curiosité, le désir de connaître, inné chez tous les individus et tout particulièrement chez lui, le ramenaient quelques jours après chez Mme Deturre où eut lieu une nouvelle séance, la dernière.

Se présenta :

« Jean-Marie-Liberté Cavaillès, né à Revel (Haute-Garonne) le 5 mars 1793. Je suis mort à Mazamet le 24 juillet 1883, rue de Juillet, d'une fluxion de poitrine.

D. - Quel était le numéro de la maison ?

R. - Il n'y en avait pas à cette époque-là. Je suis entré au service militaire comme conscrit au 6e de ligne à Toulouse, le 25 janvier 1803. J'ai été fait sergent-major sur le champ de bataille à Soudrina (mot très mal écrit, illisible), en Italie, le 6 décembre 1813. J'ai été renvoyé en congé illimité en 1816. J'ai obtenu une place d'instituteur à Mazamet. Votre médium est très faible.

D. - Faut-il arrêter la séance ?

R. - Oui, elle n'est pas possible.

D. - Pourquoi êtes-vous venu ?

R. - Je viens demander des prières.

D. - Le spiritisme est-il une doctrine sérieuse ?

R. - Oui. Combien de fois vous l'a-t-on dit. »

A ce moment, la table qui donnait depuis un moment des signes d'impatience, fit violemment secouée ; M. Laustère, qui est un homme très robuste, voulut la retenir des deux mains ; mais elle lui fut arrachée, projetée en l'air, et elle retomba lourdement sur le parquet. Mme Deturre, au même moment, fut enlevée de sa chaise et lancée contre un fauteuil.

M. Laustère comprit alors qu'il avait tort de ne pas tenir compte des recommandations qui lui avaient été faites à maintes reprises, et à partir de ce jour, il mit fin à ses recherches.

Voici le résultat de l'enquête :

Les noms, les dates sont exacts ; comme profession, l'esprit prétend avoir été instituteur, l'état-civil lui attribue celle d'ancien relieur ; simple détail. Cavaillès a pu changer de métier au cours de sa vie, ou peut-être a-t-il confondu, comme cela arrive si fréquemment.

Ces messages, ainsi que les pièces officielles, furent envoyés à Gabriel Delanne qui les publia dans la Revue Scientifique et Morale du spiritisme, numéro de décembre 1912, et en fit un judicieux commentaire, dans les termes suivants :

« L'objection la plus communément employée contre la valeur des communications spirites, est que la transmission de la pensée peut expliquer les cas où le médium donne des indications qui lui sont inconnues, mais que le consultant possédait dans sa subconscience. Il y aurait beaucoup à dire sur ce point, car la transmission de la pensée, bien que réelle, ne s'exerce cependant que dans des circonstances assez rares, et avec des sujets sensibles à ce genre d'action supranormale, tandis que beaucoup de médiums sont réfractaires à toute suggestion mentale d'origine terrestre. Les mêmes remarques s'appliquent à la clairvoyance, autrement dit au pouvoir que possèdent certains individus de lire dans la pensée d'autrui, ou de voir des événements qui s'accomplissent au loin.

« Cependant, au point de vue scientifique, la possibilité de l'intervention d'un des facteurs précédents ne peut pas être éliminée a priori, de sorte que les communications qui renferment des renseignements circonstanciés, exacts, précis, concernant des êtres qui ont vécu sur la Terre et qui étaient absolument inconnus du médium et des assistants acquièrent une valeur de premier ordre comme indication de l'intervention d'une intelligence étrangère aux membres du groupe pour diriger la main du médium.

« Il est clair que l'importance de ces faits dépend entièrement du degré de crédibilité que l'on accorde au narrateur.

« Pour ceux-ci, nous avons pleine confiance dans la sagacité absolue de la personne qui nous les rapporte et à qui seule sa situation officielle interdit de signer (Nous sommes autorisés, cependant, à communiquer confidentiellement, le nom de l'observateur, à toute personne qui voudrait faire une enquête sur les faits que nous reproduisons.), c'est pourquoi nous les donnons en toute sécurité, car par sa profession, elle est à même de déjouer journellement les ruses des simulateurs. C'est donc à un témoin sincère et perspicace que nous avons affaire ; et comme les indications obtenues par le médium ont été minutieusement contrôlées, nous pouvons compter ces séances au nombre des meilleures dont nous avons rendu compte depuis plusieurs années. Une remarque non moins utile, c'est que le médium n'est pas spirite et que c'est à l'improviste, et tout à fait spontanément, que la première communication a été obtenue.

« Comme la dame en question n'avait assisté à aucune séance et n'avait jamais lu aucun livre spirite, c'est bien dans un terrain vierge que le phénomène s'est développé, sans aucune espèce d'auto-suggestion de sa part. »

Depuis mon enquête sur Marie Lablanqui, mes préventions, mes idées personnelles, mes sentiments matérialistes avaient été soumis à de rudes épreuves. La sincérité des expérimentateurs, ceci ne saurait être trop répété, était insoupçonnable ; l'hypothèse de souvenirs subconscients était également inadmissible. Deux de ces désincarnés avaient vécu dans des localités où aucun des assistants n'avait jamais mis les pieds.

Tout cela n'était-ce que de la clairvoyance ? Ce phénomène ne peut se produire qu'à la condition qu'il y ait un rapport moral ou physique entre le voyant et les personnes ou les lieux décrits, et ici, ce rapport n'existe pas. Ce n'était pas non plus de la psychométrie ; ce procédé utilise des objets ayant appartenu aux personnes intéressées, dont ils ont conservé les vibrations ; supposition inapplicable en l'espèce.

On pouvait encore invoquer l'intervention démoniaque ; c'est la thèse de l'Eglise catholique, copieusement développée dans de nombreux sermons par les R.R.P.P. Coubé et Mainage. Ils reconnaissent l'un et l'autre la matérialité des faits spirites, d'autant mieux qu'il leur serait bien difficile de les nier. Tous les pompiers connaissent ce procédé ; il s'appelle : faire la part du feu. Mais lorsqu'il s'agit de donner l'explication des phénomènes, les deux prédicateurs n'hésitent pas ; ou c'est de la télépathie, ou bien c'est le diable qui fait marcher les tables, parler et écrire les médiums, provoque les matérialisations, écrit dans les ardoises, en un mot, c'est lui qui est cause de tout. Et lorsqu'on leur objecte le caractère profondément moral de la plupart des communications, ils répondent comme le loup du Petit Chaperon Rouge : C'est pour mieux te tromper, mon enfant !

Il est vraiment regrettable que l'Eglise romaine reste ainsi fermée aux vérités nouvelles. Un de ses défenseurs les plus éminents, Huysmans, qui a exposé, lui aussi, la thèse du diabolisme dans son livre Là-Bas, a eu le mauvais goût d'étayer ses affirmations avec des injures indignes d'un écrivain de valeur ; lisez plutôt :

« Il n'y a, voyez-vous, que deux cités : celle de Dieu et celle du Diable. Or, comme Dieu est en dehors de ces sales manigances, les occultistes, les spirites, satanisent plus ou moins, qu'ils le veuillent ou non...

« A force d'évoquer ces larves, les occultistes qui ne peuvent, bien entendu,, attirer les anges, finissent par amener les Esprits du Mal, et, qu'ils le veuillent ou non, sans même le savoir, ils se meuvent dans le Diabolisme. C'est à, en somme, où aboutit, à un moment donné, le spiritisme...

« Si l'on admet cette dégoutante idée qu'un médium imbécile peut susciter les morts, à plus forte raison doit-on reconnaître l'estampe de Satan dans ces pratiques...

« De quelque côté qu'on se tourne, le spiritisme est une ordure... »

N'en jetons plus. Lorsque ce livre parut, on se demanda la raison de cette haine féroce de la part d'un auteur qui fut toujours hanté, obsédé par l'idée de Satan, et qui, dans un accès de frénésie mystique, se jeta à la Trappe où il finit ses jours. La raison de cette haine, c'est lui-même qui la donne à la fin de son livre, car, après avoir copieusement bavé, il montre enfin le bout de son oreille et conclut :

« Alors, si on est logique avec soi-même, il faut croire au catholicisme, et dans ce cas, il ne reste plus qu'à prier ; ce n'est pas le Bouddhisme et les autres cultes de ce gabarit qui sont de taille à lutter contre la religion du Christ. »

Comme on le voit, c'est toujours la même malice, la même tactique, le même but : confondre le catholicisme avec le christianisme, les marchands avides avec Celui qui les expulsa du Temple.

Les défenseurs de l'hypothèse démoniaque, croyant démolir la théorie spirite, ne font que la renforcer, car l'intervention de Satan, en admettant qu'elle fut prouvée, démontrerait la présence d'une intelligence étrangère aux assistants, ainsi que l'affirment les spirites.

N'insistons pas ; la croyance aux démons est un pur article de Foi.

Et alors ? Alors, pour expliquer les singulières et inattendues révélations faites à M. Laustère, ces affirmations confirmées par des pièces officielles, fallait-il admettre que les personnalités qui s'étaient manifestées étaient bien celles qu'elles prétendaient être ? Elles donnaient des preuves qu'aucun des trois assistants n'aurait pu trouver dans ses souvenirs conscients ou subconscients ; tous les trois, de toute certitude, avaient toujours ignoré les noms, les dates et les faits qui furent contrôlés par la suite.

Les témoins posthumes paraissaient s'accorder pour prouver que leurs dépositions étaient bien des messages de provenance extra-terrestre ; leurs expéditeurs semblaient avoir trouvé les conditions favorables et les avoir utilisées pour notre instruction.

Et pour la première fois, après un examen impartial de tous ces faits, nous fûmes amenés à nous poser ce point d'interrogation formidable :

LES ESPRITS EXISTERAIENT-ILS ?


Troisième partie

Certitude

Les esprits existent



Chapitre IX

Education des Médiums - Faits de hantise

Les faits spirites sont tellement mystérieux, surprenants, incroyables, qu'à moins d'une prédisposition mentale toute spéciale, il est pour ainsi dire impossible de les admettre tant qu'on ne les a pas vus, palpés, retournés, vérifiés.

Les communications exposées dans la deuxième partie de ce volume, jointes aux événements petits et grands qui y sont relatés, auraient dû être pour moi définitivement probants ; et bien, non ! l'atavique incrédulité, l'éducation, l'habitude me détournaient de croire. Il y avait aussi dans mon cas un peu d'humiliation. Je me demandais ce qui pouvait avoir valu à M. Laustère la faveur d'obtenir si spontanément ce que je cherchais vainement moi-même ; moi aussi je voulais avoir des preuves d'identité.

J'avais continué l'expérimentation, et, pour la diriger plus spécialement dans le sens spirite, je me mis à fréquenter un groupe dirigé avec beaucoup d'autorité par une dame âgée et respectable, Mme Pomès. Chez elle se réunissaient une trentaine d'habitués de condition modeste, parmi lesquels 5 ou 6 médiums prêtaient leur concours désintéressé ; je puis dire que j'ai pris là d'excellentes leçons qui m'ont servi plus tard. Tout n'y était pourtant pas parfait. Une chose y choquait mes sentiments intimes ; le tour un peu trop religieux que l'on donnait aux séances. La part de la prière, à mon sens, y tenait trop de place ; j'y regarderais moins, aujourd'hui que j'ai vu, hélas, tant d'abus, tant d'extravagances.

Chez Mme Pomès, on ne faisait que de la médiumnité par incarnation. La présidente commençait par lire un chapitre d'Allan Kardec, et le commentait ; après cela elle faisait la prière aux esprits, puis elle appelait les guides spirituels du groupe.

« Nous demandons à nos anges gardiens et guides et à nos Esprits supérieurs, si nous pouvons faire appeler l'esprit de...

  • Oui, mes amis, vous le pouvez » était-il généralement répondu ; la plupart du temps,

C'était la doyenne des médiums qui incarnait un des guides : Jeanne d'Arc, le curé d'Ars, sainte Philomène, etc., et qui répondait à la question posée ; elle en profitait pour faire une homélie qui allongeait inutilement la séance, et tombait assez souvent dans le ridicule, lorsque, par exemple, elle faisait une dissertation en un latin de cuisine qui aurait été désavoué par le plus cancre des potaches. Cette doyenne était âgée de 80 ans et se portait à merveille ; si celle-là était une hystérique, suivant l'opinion accréditée, il faut reconnaître que l'hystérie est un excellent agent de conservation.

Après le départ de l'esprit supérieur, la présidente faisait l'évocation suivante : « au nom de Dieu tout-puissant, nous prions l'esprit de X... de vouloir bien se communiquer. »

AU NOM DE DIEU TOUT-PUISSANT ! C'est la formule donnée par A. Kardec (Livre des Médiums, page 244) : l'évocation, précise-t-il, doit toujours être faite au nom de Dieu.

Le spiritisme, et ceci est tout à son honneur, n'étant pas dogmatique, chacun conserve le droit de le discuter ; cela me permet de déclarer très sincèrement que je ne partage pas l'opinion du grand maître. Lequel de nous, ici-bas, se sent assez sûr de soi-même, se considère comme suffisamment pur pour parler au no de Dieu ? Qui donc a reçu mission pour porter la parole en son nom ?

D'autres ont déjà posé ces questions.

« Comment se fait-il, dit Vettellini, que dans certaines séances il y ait un si extraordinaire emploi du nom de Dieu, un tel abus de ses ordres, de ses volontés ? On dirait que les communicateurs connaissent Dieu intimement, que Dieu les a mandatés et commissionnés en bonne et due forme.

« Les inspirateurs de ces réunions emploient les moyens nécessaires adéquats à la mentalité des disciples assemblés. Ces spirites religieux sont presque tous des êtres qui ont un besoin intense de croyance en Dieu, en un Dieu personnel. Une religion sans un Dieu-Roi et Père ne pourrait leur sembler valable. Ils ne peuvent avoir un idéal sans une représentation concrète et dès lors, les Esprits inspirateurs, jugeant de haut et prévoyant, leur donnent la nourriture mentale qui leur convient, la seule qu'ils puissent digérer et qui les sustentera » (voir CORNILLIER - La Survivance de l'âme)

Chez Mme Pomès, la suggestion jouait un rôle important : la bande à Bonnot faisait alors parler d'elle ; après la mort des bandits, aucun d'eux ne manqua de se présenter dans ces réunions et de venir y exprimer, après vertes semonces, le plus profond repentir.

Mais, tout compte fait, ce milieu était sincère ; questions de religiosité et de suggestion mises de côté, j'y ai souvent assisté à des incorporations fort troublantes, et somme toute, la moyenne des communications était très au-dessus de ce que j'ai pu voir ailleurs.

C'est à ce moment que je me remis à la tâche pour obtenir, à mon tour, des preuves d'identité. Je n'y parvins que plus tard, et non sans peine.

Parmi les médiums de Mme Pomès, j'en distinguai deux qui me parurent intéressants : une jeune fille, Elise et un coiffeur, Raoul Dupuis ; j'avais, en outre, rencontré dans le salon de Mme de Redon une autre jeune fille, Albertine, dont les facultés naissantes avaient besoin d'être développés. Avec eux trois j'entrepris une série de recherches qui devaient durer plusieurs années.

Mon principal soin fut le développement d'Albertine ; j'y fus aidé par les esprits familiers qui me donnaient eux-mêmes la marche à suivre. Dans les débuts, je n'obtenais que des message par la table ; je voulus en avoir par l''écriture : « La petite ne travaillera qu'inconsciemment, disait la table. - Que faut-il faire ? - L'endormir. »

D'après ces indications, je faisais des passes très prolongées, des impositions de mains dur le sommet du crâne et sur le front : « renouveler ceci souvent, sérieusement » disait-on encore.

Huit jours après : « Il faut prendre patience. Son tempérament très fort rend nos communications défectueuses. - Que faut-il faire ? - L'endormir. »

A la longue, je parvins à lui enlever toute sensation, toute connaissance ; elle fit alors des progrès rapides, et après avoir donné de nombreuses pages d'écriture, sa médiumnité se compléta par la faculté d'incarnation. Elle incorpora avec toutes les apparences de la réalité des esprits de famille ou des amis défunts, et nous pûmes, à ce moment, former un groupe qui se réunissait deux fois par semaine.

Elise se relâchait quelque peu de son assiduité ; c'était fort regrettable, car elle était bonne voyante et donnait toujours de l'inédit. Quant à Raoul, son éducation se compléta, se perfectionna et sa bonne volonté ne se trouva jamais en défaut.

D'autres médiums se joignaient parfois à nous, et notamment une dame, Mme Dalet, qui, envoyée par un ami, arriva certain jour au milieu d'une séance et prit place silencieusement. Elle fut prise, au bout d'un instant par l'esprit de son mari qui, après s'être fait connaître, m'adressa la parole, me parlant des luttes politiques qu'il avait soutenues dans le pays agenais, me citant Faye, Fallières, de Mondenard, Decker-David, me disant des choses que j'étais seul à connaître et qui me stupéfièrent.

A la fin de la séance, une des dames présentes lui demanda si elle voyait quelque chose la concernant :

« Ce que je vois, répondit le médium, c'est que vous êtes enceinte. « Surprise et amusée, la dame déclara que c'était impossible, puisque, quinze jours auparavant, elle avait eu la preuve du contraire. « Madame, lui fut-il répété, je vois un enfant auprès de vous. Vous êtes enceinte. » Et c'est le médium qui avait raison ; quelques jours après, la dame en faisait la constatation formelle.

La semaine suivante, nous allâmes à la campagne, chez des paysans que nous ne connaissions pas et qu'on nous avait recommandé d'aller voir. Leur maison, prétendaient-ils, était hantée par un esprit tapageur qui faisait du bruit, les empêchait de dormir et rendait leur cheval malade.

En entrant, Mme Dalet fixa ses regards sur un portrait accroché au mur : « C'est votre grand'père, dit-elle ; c'est lui qui fait ce bruit ; il n'est pas content ; ce que vous faites ne lui plaît pas. » Elle décrivit exactement le caractère du vieux, ses manies, ses infirmités, dit qu'il avait des varices. Passant ensuite dans l'écurie, elle regarda le cheval qui s'y trouvait, déclara que sa maladie n'était pas dangereuse ; elle rappela au paysan qu'un autre cheval était mort à cet endroit, à la suite d'une blessure au pied produite par un clou. Tout cela était vrai.

Elle recommanda de brûler des plantes, de faire des prières ; de notre côté nous appelâmes dans nos séances l'esprit du grand'père, nous lui fîmes comprendre le mal qu'il faisait à sa famille. Il promit de se tenir tranquille, de ne plus faire de bruit, et à partir de ce moment, ces faits ne se sont pas reproduits.

Je retrouve dans mes notes une autre histoire de maison hantée. Cette maison, située à Lavilledieu (Tarn-et-Garonne) était habitée par Mme Calmel, son fils, âgé de 16 ans, et ses deux filles, un peu plus jeunes.

Vers la fin de 1912, cette famille commença à entendre comme des galops d'enfants autour de la maison, des bruits de chaînes dans l'escalier, des portes s'ouvrant avec fracas, des tonneaux roulés. Ces manifestations se faisaient entendre dès la nuit tombée et duraient parfois jusqu'au matin, plongeant la mère et les enfants dans une angoisse extrême. Tout d'abord, ils crurent à quelque farce des habitants du pays ; Mme Calmel, emménagée depuis peu, ne fréquentait guère personne, et l'on pouvait à la rigueur supposer que les paysans, la croyant fière, lui donnaient un charivari, à moins que les jeunes gens de l'endroit n'eussent trouvé de plus bel hommage à l'adresse des deux jeunes filles. Mais au bout de quelques jours, il fut facile de se rendre compte que la cause était tout autre et qu'elle ne pouvait être attribuée à âme qui vive.

Très alarmée, Mme Calmel écrivit à sa sœur, lui demandant conseil ; celle-ci, par l'intermédiaire de Mme de Redon, me pria d'intervenir, si je croyais pouvoir chasser les mauvais esprits de Lavilledieu. Dans une séance tenue spécialement, Albertine incarna deux ou trois des esprits malfaisants, qui prétendaient avoir autrefois habité ces lieux. Ils nous traitèrent d'abord sans ménagement, tant en gestes qu'en paroles, mais après une longue discussion, il promirent de rester tranquilles.

Cette promesse ne fut tenue qu'en partie, ainsi qu'en témoigne la lettre suivante adressée par Mme Calmel à sa sœur :

Lundi, 16 décembre.

« Ma chère Jenny,

« J'ai couché à Lavilledieu cette nuit ; nous n'avons entendu aucun bruit. Depuis que les séances ont eu lieu, les bruits sont bien moins forts. Ils viennent maintenant de sous la terre ; on dirait que l'on creuse un souterrain au-dessous de la maison. On a commencé par la cuisine ; maintenant, on est sous la chambre. Ne pourrais-tu faire savoir par le médium ce que l'on creuse ainsi et dans quel but ?

J'ai entendu distinctement la précédente nuit que j'y ai couché des coups forts, mais sourds, come des bruits de massue sur la terre, et cela étant bien éveillée. Nous avons remarqué avec Jean du côté de la cuisine un endroit qui résonne en tapant. Il y a des choses très drôles ! Jean n'a pu s'endormir ; Lucie, elle, voulait bien, mais il n'y a pas eu moyen ; il y a là évidemment une force qui empêche d'agir... »

Nous consacrâmes encore quelques séances à chapitrer les esprits tapageurs ; elles finirent par donner des résultats satisfaisants, ainsi que me le confirma quelque temps plus tard Mme Calmel.


Chapitre X

A tâtons

Tout cela ne me faisait pas oublier mon but : obtenir des preuves attestant l'identité des esprits d'une façon formelle, irréfutable. Ceux qui nous avaient rendu visite, depuis la formation de notre petit groupe, nous étaient presque toujours connus. Nous ne faisions pas état de ce qu'ils nous disaient ; de même, si je soupçonnais que le médium, ou les membres du groupe, ou moi-même nous avions pu être, à un moment quelconque de notre vie, en contact avec l'esprit communiquant ; de même, si nous supposions que quelque chose le concernant avait paru dans les journaux ; de même, si c'était un personnage marquant, ou tant soit peu connu. De sorte que nous n'avons pu avoir, dans des conditions si rigoureusement exclusives, qu'un assez petit nombre d'esprits dont les affirmations nous ont paru dignes d'être contrôlées. On les retrouvera plus loin.

Ce sujet grave, l'existence et l'identité des esprits, ne doit pas être traité en poète ou en romancier, mais bien en narrateur précis et averti, je dirais presque en historien, sans hors d'œuvre, sans faux jour, avec la clarté inséparable de toute œuvre vécue. Selon l'expression de Quintillien : Scribitur ad narrandum, non ad probandum, ceci est écrit pour raconter, non pour prouver. Chacun reste libre de se former une opinion sur les faits cités ici. Les seules modifications que j'ai faites portent sur quelques noms et adresses ; pour le surplus, je serai toujours à la disposition des personnes qui voudraient contrôler mes affirmations.

Pendant cette période de tâtonnements, nous eûmes, certes, des séances intéressantes, notamment celle du 15 janvier 1912, au cours de laquelle un nommé L'André, épicier, vint nous donner des détails très circonstanciés sur son existence terrestre ; l'un des médiums, Elise, le vit très distinctement et en donna un signalement beaucoup plus précis que ne l'eût fait un policier de profession. Mais une des personnes présentes reconnut dans ces détails et ce signalement de nombreuses particularités qui se rapportaient à un épicier qu'elle avait connu, et confirma tout ce qui venait d'être dit. Cela pouvait être de la transmission de pensée.

Nous appelâmes notre guide Camillo ; nous lui exprimâmes nos doutes, et nous lui demandâmes si, pour fortifier notre confiance, il ne pouvait pas nous faire connaître un événement hors de notre portée, par exemple nous dire quel serait le futur Président de la République dont l'élection était fixée au surlendemain, 17 janvier.

« Mes amis, nous dit Camillo, nous ne devons pas nous occuper de questions matérielles ; néanmoins, pour bien vous convaincre que ce sont des esprits qui vous parlent, je vais, par exception, répondre à votre question : le Président de la République sortira du ministère de l'agriculture.

  • Alors, c'est M. Pams qui sera élu ?

  • Oui, à moins que d'ici là, il n'y ait un revirement d'opinion ; en tout cas, en ce moment, c'est lui qui teint la corde. »

Il est 4 heures ½ ; à Paris, les sénateurs et députés de la gauche vont procéder, dans une réunion préparatoire, à un deuxième tour de scrutin pour la désignation du candidat. Le résultat n'en est connu à Toulouse que par les journaux du soir, vers 8 heures et demie ; ce scrutin a donné, contre toute attente, le résultat suivant :

M. Pams ............... 283 voix

M. Poincaré........... 272 voix

Et le journal la Dépêche porte la manchette suivante :

M. Pams, candidat des républicains.

On pourrait croire que le médium a puisé dans les chroniques des journaux les éléments nécessaires pour établir son pronostic, il n'en est rien. Bien au contraire, personne ne s'attendait à ce résultat ; M. Pams, d'après l'opinion de la très grande majorité des journaux, n'avait aucune chance, ainsi que l'indique le résultat du concours organisé par Excelsior :

« qui sera élu président de la république ?

Le dépouillement des feuilles de réponse du concours d'Excelsior, commencé depuis quelques jours, a porté, hier, sur 19.341 bulletins, dont voici le détail :

MM. Poincaré............... 12.034

Deschanel........................ 2.803

Pams.............................. 1.924

A.Dubost........................... 1.257

Ribot............................... 1.099

Divers............................. 214

Et je retrouve ceci dans nos notes, prises au moment même :

« Que M. Pams soit élu Président ou non, il n'en reste pas moins qu'au moment même où cette prédiction nous a été faite, M. Pams tenait, en effet, la corde comme candidat. »

Je puis ajouter maintenant : « Cette corde a été coupée par un revirement de l'opinion », comme l'avait envisagé Camillo.

A la fin de cette même séance, nous faisons l'obscurité. Les deux médiums voient des lueurs qui partent d'un angle de la pièce. A un moment donné, tous les deux poussent en même temps un grand cri. Ils déclarent avoir vu une religieuse ouvrant les bras. Une assistante, Mme Gil, pleure, effrayée ; elle dit avoir vu également cette forme, mais moins distinctement. La vision s'est produite dans la direction d'une autre dame, Mme Batilde, que M. Guérin vient d'endormir.

On s'empresse de faire la lumière et nous demandons à Mme Batilde, si elle est prise par un esprit, de vouloir bien écrire son nom. Elle écrit alors un nom que nous lisons ainsi : Théodule.

On la réveille et on lui demande si elle a connu quelqu'un qui portait un nom se rapprochant de celui-là : oui, répond-elle, c'était une sœur de charité qui habitait Colomiers et qui s'appelait Marie-Théodulie.


Chapitre XI

Un nouveau témoin

Tout cela était très encourageant, mais enfin ne nous fournissait pas les matériaux, les preuves formelles que nous attendions. Et ici, j'appelle l'attention des rares chercheurs qui se sont livrés à ce genre d'investigation et de ceux qui seront tentés de le reprendre ; il y faut une patience à toute épreuve ; il faut être décidé à consacrer des mois, des années entières à l'affût de l'inconnu. On ne doit pas perdre courage. Si l'on est certain de la sincérité du ou des médiums, de leur bonne foi, de leur désir de bien faire, et si on leur reconnaît une véritable valeur psychique, on y mettra plus ou moins de temps, mais on finira par aboutir.

C'est ce qui se produisit à notre séance du 29 janvier 1913, à laquelle assistaient les membres de notre groupe :

MMmes Mercadé, Fargerel, Gil.

MM. Guérin, Barres, Bourniquel.

Médiums : Albertine, Gaby.

Comme nous le faisions toujours depuis le début de ces recherches, et comme nous avons continué à le faire dans toutes les séances qui ont suivi, nous commençons tout d'abord par appeler notre guide, Camillo. Cet esprit venait fréquemment chez Mme Pomès ; c'est là que nous l'avions connu. Il s'était attaché à nous et il a pris la direction de notre groupe lorsque nous l'avons formé. Quand nous lui demandâmes des renseignements sur lui-même, il nous déclara qu'il avait été statuaire et qu'il s'appelait Camillo Santini. Il était venu d'Italie en France où il avait longtemps travaillé à de nombreux édifices, et notamment à l'Hôtel de Sévigné (probablement Carnavalet). Il serait mort vers 1750, après avoir eu beaucoup de chagrins et de déboires. Je n'ai jamais pu vérifier ces affirmations ; en tout cas, Camillo nous a constamment guidés vers le bien et nous avons souvent ressenti sa bienfaisante influence.

Nous faisons donc l'appel de Camillo, très simplement : « Nous prions Camillo de vouloir bien se communiquer ». Pas d'autre évocation ; pas de prières ; elles sont dans nos cœurs ; si les esprits existent, ils sauront bien démêler nos véritables sentiments.

Après que Camillo nous eut donné des conseils au sujet de nos recherches, nous le priâmes de nous envoyer un esprit totalement inconnu de nous tous. C'est ainsi que nous procédions toujours, mais jusqu'alors il n'était venu que des esprits plus ou moins connus et nous ne les avions pas retenus.

Ce jour-là se présente :

« Ernest Guiraud, 19 ans.

D. - Que faisiez-vous ?

R. - J'étais retoucheur à la photographie Provost.

D. - Quand êtes-vous mort ?

R. - En novembre 1910 ; j'étais poitrinaire.

D. - Où habitiez-vous ?

R. - J'habitais avec ma mère, qui est veuve, place Rouaix, je crois ; elle tient un petit magasin de fleurs artificielles et de couronnes mortuaires.

D. - Aviez-vous des frères, des sœurs ?

R. - J'avais une sœur, Marguerite, morte avant moi, entre 16 et 18 ans.

D. - Pouvez-vous nous citer d'autres personnes que vous connaissiez ?

R. - Je parlais à une demoiselle, Jeanne, à laquelle j'avais donné un bracelet qui avait appartenu à ma sœur ; ma fiancée a perdu ce bracelet. Je serais heureux que ma mère eût de mes nouvelles.

D. - Nous ne voudrions pas l'inquiéter.

R. - Non ; elle ne sera pas trop émotionnée ; elle sait ce qu'est le spiritisme ; elle s'en est occupée un peu. »

Lorsque le médium fut dégagé, je lui demandai, ainsi qu'aux autres membres du Groupe s'ils avaient connu quelqu'un répondant aux renseignements qui venaient d'être donnés ; tous affirmèrent qu'ils ne l'avaient jamais connu et qu'ils entendaient parler de lui pour la première fois. Ayant ainsi acquis la certitude qu'aucun de nous ne le connaissait, je voulus faire l'enquête moi-même.

Mes sentiments n'étaient plus ceux dont j'étais animé lorsque j'avais été prendre les renseignements sur Marie Lablanqui ; loin de redouter la vérification de cette identité, je l'appelais de tous mes vœux, comme la récompense méritée d'un long effort.

A la photographie Provost, rue d'Alsace-Lorraine, je trouvai un garçon de magasin qui se rappela parfaitement qu'Ernest Guiraud avait travaillé dans cette maison comme opérateur ; il me donna l'adresse de la mère, qui était rue Fermat et non place Rouaix. Je m'y rendis sans plus attendre.

Cette dame tenait un petit magasin de couronnes mortuaires ; je lui exposai ce qui était arrivé ; cela ne la surprit pas outre mesure.

« Je suis allée deux fois dans des groupes spirites, dit-elle ; j'ai fait appeler mon fils, mais ce qui m'a été dit ne m'a guère convaincue.

  • Eh bien, madame, peut-être le serez-vous aujourd'hui ; votre fils est venu spontanément chez nous ; nous ne le connaissions pas, pas plus que nous ne vous connaissons vous-même. Et voilà ce qu'il nous a raconté. »

Mme Guiraud nous déclara alors que son fils, Ernest, était mort en février 1911, épuisé ; il faisait beaucoup de foot-ball. Sa sœur était bien morte avant lui, à 19 ans, mais elle s'appelait Alice et non Marguerite. Ernest fréquentait une jeune fille, mais la mère en ignore le nom ; elle ne se rappelle pas que son fils ait fait à celle-ci cadeau d'un bracelet.

Cette identité se vérifiait dans ses grandes lignes ; il y avait une différence de trois mois en ce qui concerne la date du décès ; une erreur de nom (celui de la sœur) et une autre sur le domicile de la mère. Tout le reste était parfaitement exact. On pense si je fus heureux, et avec moi, tous nos amis, de ce beau résultat ; nous étions enfin arrivés au but. Il n'y avait plus qu'à persévérer.

A cette même séance du 29 janvier, Mlle Gaby, jeune médium en formation, incarna un enfant de 6 ans, Georges Maury ; elle en donna l'adresse et la profession des parents. Tout cela était juste, mais comme je ne connaissais pas suffisamment cette jeune fille, ni ses relations et que je ne pouvais me porter garant de sa sincérité, j'ai dû, à mon grand regret, rejeter cette manifestation comme preuve d'identité, et je n'en fais pas état.


Chapitre XII

Les Trois Réincarnations de Plotin

Dans le courant du mois d'août 1913, Jean Calmel, l'un des habitants de la maison hantée de Lavilledieu, était venu habiter Toulouse où je le retrouvai, dans le salon de Mme de Redon.

C'était un jeune homme pâle et blond ; ses yeux bleus reflétaient une grande douceur ; ses gestes mesurés, son maintien, ses propos, tout révélait en lui une nature fine et délicate, une sensibilité prompte à s'émouvoir.

Madame de Redon me proposa d'endormir ce garçon ; ce fut l'affaire de quelques passes.

Je lui posai des questions banales, je le fis voyager dans la ville, puis je lui demandai de se laisser prendre par un esprit, s'il y an avait autour de lui ; au bout de quelques minutes, il se mit à parler, la voix changée, incarnant prétendait-il, l'esprit de son grand-père Pujol.

Celui-ci nous raconta son existence, son passage au Journal de Toulouse dont il avait été directeur, nous dit qu'il fallait croire à la réalité du spiritisme. Je lui posai alors quelques questions sur les conditions d'existence dans l'au-delà. Il battit tant soit peu les buissons, parut chercher, et finit par répondre qu'il n'en savait pas assez, mais qu'il cédait la place à un autre, qui nous donnerait probablement plus de satisfaction.

Un autre esprit en effet lui succéda, peu causeur, sobre de paroles ; il prit l'attitude du penseur de Rodin. Nous eûmes une certaine difficulté à le confesser. Enfin, il finit par nous dire son nom : PLOTIN, ajoutant qu'il avait été dans l'antiquité un philosophe marquant, et qu'il avait vécu au IIIe siècle.

J'avoue, à ma grande confusion, que j'avais ignoré Plotin jusqu'à ce moment-là :

« Vous voulez dire Platon, ou Plaute », lui fis-je remarquer.

  • « Non, Plotin. » affirma-t-il de nouveau.

Je lui demandai alors quelques renseignements, mais il ne put guère m'en dire davantage que le vieux Pujol.

Lorsque Jean Calmel fut réveillé, je lui demandai s'il connaissait quelqu'un du nom de Plotin ; ce nom ne lui rappelait rien.

« Mais au lycée, lui dis-je, ne vous a-ton pas parlé d'un philosophe de ce nom ?

  • Ma foi non ; on ne nous l'a pas mentionné. »

Et à son tour il cita : « Platon, Plaute ; c'est tout. »

Je crus à une des erreurs de transmission si communes aux médiums ; celui-ci, au surplus, n'avait pas un acquis suffisant pour qu'il y eût lieu de s'arrêter à ce qu'il pouvait raconter. Je tournai la page et n'y pensai plus.

Six mois lus tard, lisant l'Eternel retour, de Jules Bois, je tombai sur une phrase où Plotin est cité en compagnie d'autres philosophes anciens et modernes. Mais alors, pensai-je, il a donc existé ?

Et je fis des recherches plus sérieuses. Je retrouvai la biographie de Plotin dans l'Histoire de la Philosophie, d'Alfred Fouillée ; j'appris ainsi que ce philosophe naquit en l'an 205 avant J.-C. qu'il fut le fondateur du néo-platonisme, l'écrivain des Ennéades et l'une des plus grandes figures de son époque.

Cela m'inspira le désir de le rappeler ; mais n'ayant plus Jean Calmel à ma disposition, je fis cette évocation par l'intermédiaire d'Albertine. Plotin se présenta, toujours peu loquace, et répéta qu'il avait vécu au IIIe siècle, mais qu'i était revenu s'incarner deux autres fois depuis cette lointaine époque.

« Si vous vous êtes réincarné, lui dis-je, puisque sous l'enveloppe de Plotin vous avez été un grand personnage, si la loi de Progrès n'est pas un mythe, votre notoriété, dans vos autres incarnations, a dû être plus grand encore.

  • Oui, répondit-il, et je vous en donnerai la preuve, une autre fois. Un de mes noms vous est connu. »

A la séance suivant, avec le même médium, je fis revenir Plotin et lui rappelai sa promesse. Il déclara alors que sa deuxième réincarnation s'était faite en Angleterre, où il était professeur.

« Mais, ajouta-t-il, le nom que je portais alors ne vous est pas connu, quoique j'aie joui à Londres d'une certaine célébrité ; il serait sans intérêt pour vous.

  • Et votre troisième incarnation ?

  • Pour celle-là, j'étais à Paris.

  • Que faisiez-vous ?

  • Je m'occupais de sciences, et de lettres.

  • A quelle époque ?

  • Il y a longtemps.

  • Sous Louis XIV, sous la Révolution ?

  • Attendez, je vais vous donner une date... 1757

  • Qui étiez-vous ?

  • J'étais neveu de Corneille.

  • Thomas Corneille ? (Je lui posais cette question comme une chausse-trappe, pensant qu'il y broncherait.)

  • Non ; Fontenelle.

  • Vous rappelez-vous votre genre d'occupations ?

  • Je m'occupais de sciences, j'écrivais, comme je vous ai dit.

  • Pouvez-vous me donner le titre de quelqu'un de vos ouvrages ?

  • Pluralité des mondes. »

  • Fontenelle déclara alors qu'il ne pouvait, pour le moment, en dire davantage mais qu'il complèterait ses renseignements une autre fois. Il dit qu'il allait se montrer à Elise, qui assistait à la séance. Celle-ci nous décrivit un homme très vieux, tout ratatiné, tout ridé, âgé de plus de 80 ans, coiffé d'une espèce de calotte plate, vêtu d'une robe paraissant celle d'un abbé, ouverte et laissant voir les jambes en culotte courte.

Lorsque nous le rappelâmes huit jours après, il ajouta ceci :

« Je m'appelais Bernard Bouvier de Fontenelle ; ma mère était sœur des Corneille. Je suivais les coulisses des théâtres, faisant de la poésie, qui était le rêve de mon parrain Thomas ; à 34 ans, je fus admis à l'Académie française où je remplaçai Colbert. Je fus ensuite reçu à l'Académie des sciences. »

Enfin, dans une dernière séance, il termina ainsi sa biographie :

« Ma mère, sœur des Corneille, s'appelait Marthe. J'entrai à l'Académie française en 1691. J'ai fait des études d'anatomie avec l'abbé Berthoulon qui avait la spécialité pour la dissection du cerveau et qui faisait des conférences aux hommes de lettres sur l'Histoire naturelle. Puis je fus chez Lemairie apprendre la chimie.

« Dans ma jeunesse, j'avais été inscrit au barreau de Rouen où mon père était lui-même avocat et où je perdis une cause ; découragé, j'étais venu à Paris rejoindre mes oncles, rue de Cléry.

« J'avais 23 ans quand Pierre mourut à 84 ans et 57 à la mort de Thomas, Je m'installai alors rue Saint-Honoré où je vécus jusqu'à ma mort qui survint le 9 février 1757 à 5 heures du soir. J'étais né le 5 janvier 1657.

« Vers la trentaine, je fis des pièces de théâtre ; j'aimais la peinture, la musique et les femmes. J'ai fait d'abord un livre sur Mes conquêtes et portant ce titre. On me voulut à l'Académie des Inscriptions en 1697 ; je fus l'instigateur d'idées de progrès et fus nommé secrétaire. Ce fut Mgr Ponchand (je ne crois pas due ce soit bien son nom) qui voulait m'en nommer le président. Il fallait un homme qui parlât toutes les langues : c'était moi. J'ai connu Fénelon, archevêque, grand orateur. »

Sur les cinq personnes qui ont assisté à cette série de communications, aucune, sauf moi, ne connaissait Fontenelle ; moi-même, je connaissais simplement sa « Pluralité des mondes » mais j'ignorais sa parenté avec Corneille dont je ne le croyais pas contemporain, mais plus ancien. Quant au médium, j'étais parfaitement sûr qu'il prononçait ce nom pour la première fois. Il n'y avait donc là aucune manifestation de notre souvenir conscient. Reste l'hypothèse de subconscience ; à cause de son importance, j'en remets la discussion à la dernière partie du livre.

Quoi qu'il en soit, je trouvai une excellente biographie de Fontenelle dans la Notice qui précède son recueil des Eloges des Académiciens ; voici les passages de cette notice, copiés textuellement, qui se rapportent aux faits cités plus haut :

« Fontenelle était neveu des Corneille par sa mère Marthe, sœur des deux poètes. - Il s'appelait Bernard le Bouyer de Fontenelle. - Il naquit le 11 février 1657 à Rouen où son père était avocat ; il se fit lui-même recevoir avocat. Il plaida une cause et la perdit ; il renonça alors au barreau pour s'adonner aux lettes. - Il se rendit à Paris auprès de son oncle Thomas qui rédigeait le Mercure galant. - Il y débuta comme poète, puis composa plusieurs opéras, notamment Psyché, le Bellérophon, Thétis et Pélée, Enée et Lavinie, des tragédies parmi lesquelles Brutus...etc.

« En 1691, âgé de 34 ans, il fut reçu à l'Académie Française en remplacement de M. de Villayer, conseiller d'Etat.

« En 1697, il fut nommé secrétaire de l'Académie des Sciences ; il ne tint qu'à Fontenelle d'en être nommé Président perpétuel.

« Il avait été aussi nommé membre l'Académie des Inscriptions et Belles-lettres. - En 1730, il alla demeurer auprès de son neveu, M. Richer d'Aube, rue Saint-Honoré, et dès lors, n'eut plus d'autre demeure.

« Il y a trois choses, disait-il, que j'ai toujours aimées : la peinture, la musique et les femmes.

« Il mourut le 8 janvier 1757. »

L'identité de Plotin est parfaitement reconstituée ; il a été malheureusement sobre de paroles, comme si son long silence lui en avait ôté l'usage.

Quant aux renseignements donnés par Fontenelle, les uns sont exacts, et ce sont les plus nombreux, d'autres légèrement erronés, d'autres n'ont pu être vérifiés. Un seul est faux, mais d'importance secondaire : je remplaçai Colbert à l'Académie (c'était M. de Villayer).

Le seul ouvrage où le médium aurait pu se documenter est le petit dictionnaire de Littré, qu'il possédait alors, et dans lequel la biographie de Fontenelle se résume à ceci : Littérateur français, neveu de Corneille, 1657-1757, auteur de la Pluralité des mondes et des Eloges des académiciens.

Ce n'est donc pas là que le médium a puisé. Il n'y a pas eu d'action mento-mentale exercée par les 4 assistants : (les médiiums Elise et Raoul Dupuis ; Mme Rouquier et moi) ; aucun de nous ne connaissait rien des détails donnés. Il n'y a pas eu souvenir de lectures anciennes, l'instruction simplement primaire du médium ne comportant pas de telles études.

Est-ce de l'intuition ? mais d'abord qu'est-ce exactement que l'intuition ?

Est-ce de la métagnomie, chère à M. Boirac ? Est-ce de la clairvoyance, de la clairaudience, du somnambulisme ou du rêve ? Tout cela n'est pas probable. Il ne reste plus que l'hypothèse subconscience ou l'hypothèse spirite ; nous les examinerons plus loin.


Chapitre XIII

Les témoins déposent

Nous restâmes quatorze mois sans avoir de nouvelles preuves d'identité ; ce genre d'expérimentation est très ingrat ; on n'obtient pas toujours ce qu'on attend et nos recherches, ardemment, méthodiquement poursuivies, ne remportèrent pas, dans cette période, le succès que nous espérions.

Pourquoi, dans ce long intervalle, n'avons-nous eu que la visite d'esprits familiers ? Je ne puis en attribuer la raison qu'à la préparation insuffisante des médiums ; ce qui paraît le prouver, c'est que, dès maintenant, les étrangers, les inconnus vont se présenter avec une plus grande fréquence ; le développement, l'entraînement des médiums semblent devoir être poussés à fond, sinon les messages s'en ressentent désavantageusement.

Tant qu'il ne s'agit que de parents ou d'amis, ou encore de personnages notoires, on peut admettre, à la rigueur, que le médium puise dans la conscience normale ou subliminale des assistants les éléments nécessaires, et les sert ensuite avec fidélité ; cela n'est pas constant chez tous les sujets, mais cela est possible, et dans ces cas là la thèse spirite n'est pas inattaquable.

Il en est tout autrement lorsque les communicants sont totalement inconnus, lorsque leur existence modeste, sans notoriété, s'est écoulée obscure et ignorée. Ici, vient alors se poser cette question : Où le médium trouve-t-il l'essence même de ce qu'il nous rapporte aussi correctement que le lui permet son organisme ? Le médium est un agent de transmission faillible, infidèle, rétif : on peut dire que l'appareil parfait n'existe pas et nous devons nous contenter de ce que nous avons ; mais où donc va-t-il chercher les renseignements qu'il nous donne ?

Le 20 mars 1914, nous étions réunis avec Mme Rouquier, Albertine et Raoul Dupuis.

Albertine incarne un esprit qui déclare se nommer :

Louis Téfra, mort il y a 2 ans.

  • Où habitiez-vous ?

  • J'habitais rue de la Colombette, 25.

  • Que faisiez-vous ?

  • J'étais typographe ; je travaillais chez Cléder, rue de la Pomme ; je gagnais 3 francs par jour. J'y étais depuis 3 ans et demi, on m'aimait beaucoup.

  • Quel âge aviez-vous ?

  • 17 ans. »

Nous posons d'autres questions, mais l'esprit ne peut pas y répondre ; il ne se souvient de rien.

Renseignement pris, nous apprenons que Louis Téfra habitait rue de la Colombette, 28 et non 25. Il est mort en avril 1913 à l'âge de 18 ou 19 ans. Il était typographe à l'imprimerie Cléder.

A noter que Raoul Dupuis passe souvent rue de la Colombette ; il n'a jamais connu ni entendu parler de Téfra. Nous retrouverons fréquemment cette particularité au cours de notre étude : nous avons constaté très souvent que l'un de nous était passé dans la rue habitée par le communicant, soit la veille, soit le jour même de la séance. Cela ne nous permet pas de supposer qu'il a eu ainsi connaissance des renseignements ultérieurement fournis par le médium, mais cela semble indiquer que les esprits s'attachent aux incarnés, et particulièrement aux personnes qui s'occupent de spiritisme. Ils cherchent à se manifester et espèrent, en nous suivant, qu'ils en auront la possibilité. C'est ce qui arrive, en effet, pour les plus favorisés d'entre eux.

Ce qui est également à remarquer, c'est que l'esprit de Téfra, qui aurait dû s'incarner, logiquement, dans le médium Raoul, s'est incarné dans Albertine. Question de sympathie, très certainement. Il y a entre les esprits des désincarnés et les médiums de mystérieuses affinités dues à l'harmonie de leurs vibrations ; un esprit vibrera avec un médium et non pas avec un autre, de même qu'une corde de harpe ou de piano vibrera avec un diapason correspondant à son propre son.

Ceci explique pourquoi certains médiums incorporent facilement tel esprit, tandis qu'un autre médium y trouvera beaucoup de difficulté.

Le 27 mars 1914, nous eûmes deux nouveaux témoins ; le premier, donné par Albertine, déclara :

« Marius Radieu (le nom est changé), employé d'octroi.

  • Où habitiez-vous ?

  • Rue Saint-Michel, n° 110, je crois ; dans une maison dont le bas est occupé par un plombier et par un épicier.

  • Comment êtes-vous mort ?

  • Je suis mort entre 35 et 38 ans, à la suite d'un refroidissement que j'avais pris à la pêche. Une fluxion de poitrine s'ensuivit. Je ne suis pas resté longtemps malade.

  • Aviez-vous de la famille ?

  • J'ai laissé une fillette de 6 ans qui doit avoir aujourd'hui 12 ans. Ma femme, Anne, reste maintenant dans une petite rue à droite en venant de la place Saint-Michel. »

  • L'esprit s'étend ensuite sur des détails intimes, qui plus tard furent vérifiés et reconnus exacts ; la maison qu'habitait Radieu porte le n° 100 et non 110 ; le rez-de-chaussée en est occupé par un épicier (M. Julien) et par un plombier (M. Justin). Sa fillette a aujourd'hui 10 ans. Grand amateur de pêche, son inoffensive passion devait lui être fatale ; elle fut l'origine d'une pneumonie dont il mourut. - Le reste de son récit est parfaitement exact.

A noter que dans la matinée de ce jour, Raoul était allé dans le quartier Saint-Michel ; mais c'est Albertine qui a donné la communication.

Deuxième témoin, incarné par Raoul :

« Rigal (le nom est changé) Maurice, portefaix, rue Saint-Charles.

  • Où aviez-vous vous votre stationnement ?

  • J'avais mon poste habituel sur le boulevard, à l'angle de la rue des Châlets.

  • Quel âge aviez-vous ?

  • 60 à 62 ans.

  • Quand êtes-vous mort ?

  • Il y a 5 ou 6 ans. J'aimais le vin. Je fréquentais un débit, dans la petite rue qui est en face l'école du Nord.

  • Aviez-vous de la famille ?

  • J'étais marié ; ma femme s'appelait Ernestine, nous avions un fils qui habite maintenant du côté du Parc à fourrages. Il travaille à faire des bottes de paille ; il s'appelle Marius ; il a deux enfants : un garçon et une fille. »

Ces renseignements furent confirmés pour ce qui concerne Maurice Rigal ; nous ne retrouvâmes pas son fils.


Chapitre XIV

Suite des témoignages

Cette fois, nous étions bien partis ; nous avions, presque à chaque séance, la visite d'entités tout à fait inconnues qui venaient déposer entre nos mains le témoignage indiscutable de la survie. On se demandera pourquoi leurs dépositions ont été toujours entachées d'erreurs portant principalement sur les dates et les noms. Comment, dira-t-on, les esprits ne se rappellent-ils pas d'une façon précise leur nom, leur âge, la date de leur mort, le nombre de leurs enfants ?

Comment oublient-ils les principaux évènements de leur vie terrestre, pour se rappeler parfois des détails sans importance ? Comment ne se souviennent-ils pas de tout ce qui a marqué dans leur existence et ne nous le rapportent-ils pas intégralement ?

Evidemment, ce serait l'idéal, mais cet idéal paraît impossible à atteindre. Il faut se rendre compte du choc que doit produire en l'être :

1° Son passage de l'état d'incarné à celui de désincarné ;

2° La période, parfois très longue, de trouble dans lequel il reste plongé, sorte de coma où la vie psychique est totalement suspendue ;

3° Le retour à la conscience de lui-même, qui s'opère dans des conditions inégales et souvent imparfaites, suivant le degré d''évolution de chacun ;

4° Le rappel sur la Terre, dans le corps d'un médium qui est rarement à sa mesure vibratoire ;

5° L'interrogatoire auquel il n'est pas préparé, avec toutes les erreurs que comporte la transmission de sa pensée à l'aide d'un traducteur toujours faillible.

Il y a là, en effet, toutes sortes de raisons qui enlèvent à l'esprit la majeure partie de ses moyens et de ses souvenirs. C'est déjà beaucoup qu'il puisse nous faire savoir qu'il vit toujours et nous donner quelques détails suffisamment précis pour guider nos recherches. De longtemps, je crois, on n'arrivera pas à faire mieux.

Séance du 3 avril 1914. - Albertine incarne un esprit qui fait la déclaration suivante :

« Je m'appelle Antoine Bridier (le nom est changé). J'étais tailleur. J'habitais rue de la Colombette, n° 25. Je suis mort à 44 ans ; je ne sais plus à quelle date.

  • Etes-vous marié ?

  • J'étais marié, ma femme s'appelait Marie. Nous avions trois filles : l'aînée travaillait avec moi, la seconde était tailleuse, la plus jeune apprentie tailleuse. Moi-même, je travaillais pour Thiéry et Sigrand, pour Inglebert. Il y avait un coiffeur dans ma maison qui est à l'angle d'une rue.

  • Qu'est devenue votre famille ?

  • Ma fille aînée s'est mariée quelque temps après ma mort avec un homme qui voyage. Elle a eu une petite fille, Nénette, que ma femme élève ; elle habite la maison où je suis mort, dans la cour. »

L'enquête confirma tous ces renseignements ; madame Bridier avait continué à habiter le logement de la cour, au n° 25, avec la petite Nénette ; elle en déménagea précisément le 3 avril, le jour même où son mari s'était présenté à notre séance ; il nous fut facile d'apprendre, par les voisins, ce qui nous intéressait. Tout ce qui avait été dit par le mort était exact.

Il faut noter :

1° que Raoul (je l'ai déjà indiqué) passe souvent dans la rue de la Colombette ; c'est le deuxième esprit ayant habité cette rue qui se manifeste, non par Raoul, mais par Albertine. Il attire les esprits, mais il les incorpore plus difficilement, et c'est l'autre médium qui est entrancé. Les esprits semblent donc s'attacher aux lieux qu'ils ont habité, et ils continuent vraisemblablement à y séjourner ;

2° Ils sont attirés par une force mystérieuse vers les personnes qui s'occupent d'eux ; ils s'attachent à elles, et les suivent dans le but probable et même certain de s'incarner, grâce à ces personnes, et de nous donner ainsi la preuve de leur survivance.

3° Il n'y avait que 4 personnes à notre séance : les deux médiums, Mme Rouquier et moi ; il nous a été facile d'établir que c'était Raoul, et non pas un autre qui avait amené cet esprit et de plus, qu'aucun de nous quatre ne connaissait Bridier de près ni de loin.

Ce sont des choses que nous ne saurions trop répéter, pour les négateurs, les incrédules, les opposants systématiques.

Séance du 24 avril 1914. - Incarné par Albertine, se présente :

« Charles L..., domicilié à Tournefeuille (Haute-Garonne).

  • Quand êtes-vous mort ?

  • Il y a à peu près 8 ans ; je ne peux pas préciser.

  • Quelle maladie avez-vous eue ?

  • Je n'étais pas malade. Je me suis tué, d'un coup de fusil.

  • Aviez-vous de la famille ?

  • Non ; nous n'avions pas d'enfant. Ma femme s'appelait Angèle. » Avant de s'en aller, il nous dit qu'il avait fait son service militaire à Montauban, dans les tringlots, et qu'il était originaire de la route de Saint-Simon où habitaient ses parents.

Ici encore, je dois noter que j'avais à cette époque des relations avec quelques habitants de Tournefeuille où j'allais souvent. Indubitablement, c'est moi qui ai harponné L... Je connais suffisamment cette commune pour savoir ce qui s'y passe, ainsi que les principaux événements qui ont illustré son histoire dans ces dernières années. Mais, comme les peuples heureux, Tournefeuille n'a pas d'histoire ; à peine quelques évènement qui n'ont d'importance que pour les indigènes, et que les journaux, bien entendu, ne mentionnent pas. Ce dut être le cas pour le suicide de L... ; le bruit de son fusil ne dut pas être entendu de très loin et l'écho ne se chargea pas de le transporter. Si j'en avais été informé, ce fait ne remontant qu'à 8 ans, je l'aurais retrouvé dans mes souvenirs ; il n'aurait pas eu le temps de passer dans ma subconscience. J'ai eu beau m'interroger, ma mémoire ne m'a jamais rien rappelé, ne me rappelle encore rien au sujet de cette affaire.

J'étais tellement persuadé que cette histoire était fausse que je ne me donnai pas la peine de faire une enquête, sur le moment. Ce n'est que deux semaines après qu'ayant rencontré un habitant de ce riant village, je m'informai auprès de lui, par acquit de conscience.

Voici ce qu'il me déclara :

« Charles L... était charpentier ; son père exerce le même métier sur la route de Saint-Simon. Il y a quelques années (peut-être 8 à 10 ans) il se suicida d'un coup de fusil à la tête, à la suite, croit-on, de chagrins intimes. Sa femme s'appelait Joséphine et habite encore Tournefeuille. Il avait fait son service au 17e escadron du train des équipages à Montauban. »

Comme on le voit, il n'y a qu'une erreur ; le nom de la femme est Joséphine et non pas Angèle.

Séance du 1er mai 1914. - Raoul incorpore l'esprit de :

« Rouja (les noms sont changés), Pierre. J'habitais rue Jacques Laffite.

  • Quel métier aviez-vous ?

  • Commissionnaire. J'avais mon poste sur les allées Lafayette, à l'angle de la rue Dalayrac et de la rue Héliot.

  • Comment êtes-vous mort ? quel jour ?

  • J'aimais beaucoup le vin ; j'étais souvent saoûl. Je suis mort le 18 août 1905, après avoir attrapé une bonne cuite, on m'a trouvé mort dans un corridor de la rue Dalayrac.

  • Quel âge aviez-vous ?

  • J'étais né en janvier 1854, à Toulouse.

  • Etiez-vous marié ?

  • Oui, ma femme s'appelait Marie Loberse. »

Je me rendis à l'angle de la rue Dalayrac ; j'y trouva un commissionnaire, stationnant, à l'affût des clients, et je lui posai la question :

Est-ce vous qui vous appelez Rouja ?

  • Non monsieur ; moi je m'appelle Barreau.

  • Vous n'avez pas connu Rouja ?

  • Rouja ?... un garçon de café ?

  • Non, un commissionnaire, comme vous, il se tenait à cette place.

  • Ah ! Rouja ? mais c'est moi qui l'ai remplacé, quand il est mort, il y a une dizaine d'années.

  • De quelle maladie est-il mort ?

  • Entre nous, c'est un homme qui buvait. Il avait fait le pari de boire un litre d'absinthe ; on le trouva mort dans le couloir du n° 21, allées Lafayette.

  • Savez-vous ce qu'est devenue sa femme ?

  • Je ne puis vous le dire. »

L'erreur, cette fois, porte sur l'emplacement où l'on a trouvé le cadavre, après ce stupide pari. Le reste est exact.

Nota. - Un de mes amis était gravement malade depuis plusieurs mois, j'allais le voir régulièrement 2 fois par semaine, et je passais presque toujours rue Héliot. C'est donc moi qui ai accroché Rouja, encore occupé sans doute à attendre ses clients, tout en surveillant sa boîte à cirage.

Je ne l'ai jamais connu ; je fais donc la même observation que pour les autres. Peut-être les journaux de l'époque ont-ils fait mention de ce modeste citoyen, en raison de son genre de mort, out à fait exceptionnel. Mais encore une fois, si j'avais lu cet événement dans les journaux, mon souvenir conscient s'étendant à une période de temps beaucoup plus étendue, je me le rappellerais normalement. Je me souviens très bien des principaux événements de ma vie, à partir de l'âge de 7 ans ; je les ai présents à la mémoire. Quant aux petits faits, s'ils ne sont pas dans ma mémoire immédiate, ils n'en sont pas loin, et il suffit qu'un témoin de cette époque me rappelle un de ces petits faits pour qu'aussitôt celui-ci vienne se représenter à moi, avec tous ses accessoires ; bien mieux, une fois le souvenir évoqué, c'est moi qui complèterai la vision mentale, en ajoutant des détails que l'évocateur n'avait pas donnés.

On fait toujours intervenir le subconscient comme un obsédant leit-motiv ; nous savons bien, parbleu, que si la fille ne parle pas c'est qu'elle est muette.

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